Un crash qui instille du venin dans les relations entre Poutine et Aliev

Le président russe Vladimir Poutine n’est pas homme à présenter ses excuses, et moins encore à se livrer à quelque autocritique. Les occasions n’ont pourtant pas manqué, en 25 années d’un pouvoir sans partage émaillé de violence politique et de guerres, et alors qu’il est ostracisé par une bonne partie de la planète pour la guerre qu’il livre depuis bientôt trois ans à l’Ukraine, qui lui a valu une condamnation pour crimes de guerre, assortie d’un mandat d’arrêt international, de la Cour pénale internationale, ainsi que des sanctions drastiques frappant la Russie, le président russe n’est pas près de modifier son comportement et de s’engager sur la voie de la repentance.

Aussi Poutine a-t-il fait un gros effort sur lui-même, quasi inédit, pour se fendre d’excuses adressées à son homologue d’Azerbaïdjan Ilham Aliev, pour le crash le 25 décembre d’un avion de ligne azerbaïdjanais dans les steppes du Kazakhstan, dont tout porte à croire qu’il a été causé par un tir de missile russe qui l’aurait frappé dans le ciel de la Tchétchénie. En attendant que les boites noires envoyées pour lecture au Brésil, pays constructeur en partie de l’appareil, livrent leur secret et dévoilent les circonstances de l’accident qui a tué 38 des 67 passagers et membres d’équipage, pour la plupart azéris, la piste d’un tir russe frappant par erreur l’avion de ligne azerbaïdjanais qui assurait la liaison entre Bakou et Grozny, la capitale de la Tchétchénie, semble être privilégiée. Cette hypothèse, selon laquelle l’armée russe aurait ciblé l’avion, le prenant pour l’un de ces drones ukrainiens dont Moscou affirme qu’ils visaient dans le même temps cette République russe du Nord Caucase, et le forçant à se détourner vers le Kazakhstan, de l’autre côté de la mer Caspienne, pour y atterrir en catastrophe, faute d’avoir été autorisé par les aiguilleurs du ciel russes, à se poser en Tchétchénie, est en tout cas privilégiée par le président Aliev. Autant dire que ce dernier ne s’est pas satisfait des « excuses » qu’a daignées lui présenter Poutine, dans un appel téléphonique du 28 décembre, pour ce qu’il a désigné comme un « tragique incident survenu dans l’espace aérien russe ».

C’est tout ce qu’a pu concéder le président russe au président de la République du Sud Caucase qu’il considère comme un pays allié, en refusant d’assumer la responsabilité de ce crash que la version officielle russe continue à attribuer à l’un des missiles ou drones que l’Ukraine aurait tirés en direction de Grozny. Aliev lui a clairement fait comprendre que s’il voulait ménager les rares alliés ou partenaires qui lui restent, dont l’Azerbaïdjan et le Kazakhstan, le président russe devrait en faire bien davantage que des excuses dont il est certes si peu prodigues et dont Bakou a eu le rare privilège d’en être parmi les premiers bénéficiaires. Manifestement courroucé, voire menaçant, le président azerbaïdjanais a souligné que la Russie devait assumer la pleine responsabilité de cette tragédie, fût-elle involontaire, dont il affirmait dans une interview diffusée le 29 décembre, qu’elle avait été causée par un tir lancé depuis le sol russe, et assortir ces excuses de dédommagement aux familles des victimes, au risque sinon de mettre en péril ses liens d’amitié avec l’Azerbaïdjan, auxquels il semble être assez attaché pour avoir consacré à ce pays l’un de ses rares déplacements à l’étranger, le 19 août 2024.

Reçu avec tous les honneurs par Aliev à Bakou, Poutine avait alors une fois encore exalté le partenariat stratégique entre la Russie et l’Azerbaïdjan, renforçant les termes de l’alliance conclue lors de sa précédente visite dans la capitale azerbaïdjanaise, le 22 février 2022, soit deux jours avant l’invasion de l’Ukraine que le Kremlin persiste à désigner comme une « opération militaire spéciale ». Bakou attend de ce partenariat voulu par Moscou qu’il s’exprime aussi dans l’affaire de ce crash, dont la Russie doit assumer toutes les conséquences, au risque sinon d’endommager durablement ses relations avec l’Azerbaïdjan. Les autorités azéries n’ont pas manqué de rappeler qu’elles avaient quant à elles offert des compensations à la Russie lorsqu’un hélicoptère de l’armée russe avait été abattu par un missile azéri, tuant tous ses occupants, alors qu’il survolait le territoire de l’Arménie, où la Russie dispose d’une importante base militaire, octobre 2020, durant la guerre opposant Arméniens et Azéris au Haut-Karabakh. La Russie avait d’ailleurs gardé profil bas, soucieuse de ne pas paraître soutenir l’Arménie, alors son alliée, dans un conflit qu’elle n’avait guère déployé de grands efforts pour le prévenir.

L’Azerbaïdjan lui a d’ailleurs su gré de cette neutralité dans cette guerre qui se solda par sa victoire quasi-totale sur l’Arménie, poussant celle-ci à s’éloigner toujours plus de son traditionnel allié russe pour se rapprocher de l’Occident dont elle attend un soutien peu garanti. Depuis, Bakou a repris le contrôle du Karabakh arménien, dont la population a été entièrement expulsée en Arménje fin septembre 2023, privant la Russie d’un important levier au Sud Caucase, où elle peut certes encore compter sur la Géorgie, où le gouvernement prorusse, malgré la pression de manifestations quotidiennes des proeuropéens, a suspendu fin novembre la procédure d’adhésion à l’Union européenne. Mais alors que la guerre en Ukraine est loin d’être finie, quoique puisse en dire l’imprévisible Trump, qui a promis d’y mettre fin « en 24 heures » après son investiture à la Maison Blanche ce mois-ci, c(est Poutine qui est dans la situation du demandeur et il ne peut donc se permettre de se fâcher avec ses amis… comme l’a fait entendre en termes peu amicaux Aliev…

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