« Il est impossible de "débrancher" l'islam consulaire en Europe »

Le chercheur en sciences politiques à l'université de Strasbourg Ahmet Erdi Özturk analyse la crise européennes de l'islam consulaire turc.

Propos recueillis par

Recep Tayyip Erdogan, sa femme Emine Erdogan et le président des affaires religieuses en Turquie, Ali Erbas.

Recep Tayyip Erdogan, sa femme Emine Erdogan et le président des affaires religieuses en Turquie, Ali Erbas.

© KAYHAN OZER / ANADOLU AGENCY

Temps de lecture : 6 min

Chercheur en sciences politiques à l'université de Strasbourg, Ahmet Erdi Özturk revient sur l'enquête que nous avons publiée ce jeudi. Il décrypte le dévoiement des instances religieuses censées garantir le cadre théologique de l'islam officiel turc. Cet observateur des relations entre politiques et religions en Europe doute de la possibilité de faire émerger un « islam de France » qu'Emmanuel Macron, comme ses prédécesseurs, appelle de ses vœux. Pour Ahmet Erdi Özturk, s'il faut une organisation du culte musulman, c'est à l'échelle européenne qu'il faudra tenter l'expérience. Et les instances de l'islam officiel turc, à condition d'être correctement gérées, pourraient bien inspirer la démarche.

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Le Point : Comment interpréter cette organisation franchement confuse de l'islam turc officiel en France ?

Ahmet Erdi Özturk : Il y a plusieurs messages à décrypter. Dans le projet de « nouvelle Turquie » que propose Erdogan, l'islam joue un rôle structurant. Mais on ne doit pas s'y tromper, le considérer comme un « simple islamiste » serait trop réducteur. Il est désormais évident que l'élite religieuse et administrative turque ne propose de servir l'islam qu'en façade. Vous avez montré l'opacité des flux financiers, les dénonciations, le chantage, le goût du luxe... Rien de tout cela n'est compatible avec les valeurs de l'islam ! On perçoit aussi une vraie technostructure qui organise et régimente tout. De manière évidente, ce niveau d'organisation ne rend personne heureux : les fidèles se plaignent, les religieux aussi.

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Après un tel constat, doit-on encore travailler avec ces institutions ?

Ceux qui travaillent dans ces structures dévoyées vous diront qu'ils font cela pour obtenir la miséricorde divine et servir les musulmans. Mais lorsqu'on voit comment les choses se passent concrètement, pas besoin d'être théologien pour comprendre qu'il n'y a aucune raison de recevoir de bénédiction de qui que ce soit ! Le service proposé aux musulmans est indigne, n'importe qui pourrait faire la même chose pour beaucoup moins cher, ou proposer beaucoup plus avec les mêmes montants. Cela crée un problème majeur de confiance. Comment les fidèles peuvent-ils encore faire confiance à la Ditib ? Comment les autorités françaises peuvent-elles encore croire aux discours de la Ditib ?

Quelles sont les raisons de cet échec ?

La dérive de Ditib n'est pas la dérive d'une seule institution, c'est celle de tout un système. On voit circuler des quantités faramineuses d'argent vers les hautes instances religieuses de la Diyanet, qui s'est rapprochée de l'APK et du président Erdogan. Face à cette machine, les autres communautés religieuses turques et leurs déclinaisons internationales ne peuvent pas rivaliser. Les structures de l'État turc contrôlent les ambassades, les attachés religieux, les ditib européennes, elles proposent des services comme des cours de langue, des échanges culturels, la prise en charge religieuse des individus hors des frontières... Toutes les institutions d'Ankara, religieuses comme laïques, sont désormais guidées par la même mentalité, celle d'un islamisme ordinaire et affairiste. Mais il serait illusoire de croire que les problèmes turcs ne concernent que la Turquie. Ce dévoiement des institutions touche aussi celles de Paris, Lyon, Marseille, Strasbourg... Et cela advient sous un régime de droit français...

Que faire ?

La solution autrichienne qui consiste à jouer le conflit frontal en fermant des mosquées et en renvoyant des imams est une mauvaise solution. C'est même précisément ce qu'il ne faut pas faire, car cela renforce le pouvoir d'Erdogan en lui offrant l'opportunité de se montrer encore un peu plus populiste, plus colérique, plus anti-occidental. La meilleure des décisions à prendre est de créer un cadre qui permette de maintenir les officiers religieux dans leurs mosquées avec leurs croyances et en conformité avec les lois locales. Les pays européens doivent impérativement créer des ponts avec la culture musulmane qui fait désormais partie de leur population, il faut l'accepter !

Le président Macron veut favoriser l'émergence d'un islam de France. Est-ce réaliste ?

Si Emmanuel Macron veut vraiment créer un islam de France, il devrait renvoyer les imams et fermer les mosquées affiliées à Ankara ou à des pays tiers... Cela aurait des conséquences catastrophiques, non seulement à cause des mots très durs que prononcerait Erdogan, mais surtout à cause du mouvement anti-français qui naîtrait auprès des communautés musulmanes en France.

Donc, si on vous suit, il faudrait renoncer à agir, de peur de fâcher un autocrate ?

Non ! Je ne dis pas que les Autrichiens ou les Français doivent se taire, je dis qu'ils doivent bâtir une manière de permettre aux représentants musulmans de vivre en conformité avec les lois locales. Il y a une mode qui consiste à créer des « institutions parapluies », comme le CFCM, mais soyons lucides, ça ne fonctionne pas. Pour ce qui est de la diaspora turque, l'institution qui doit les servir, c'est encore la Diyanet, car, en dépit de ses dérives et de ses égarements, c'est la seule à savoir travailler dans une société laïque et sécularisée.

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Quelles sont les principales raisons de l'échec des structures comme le CFCM ?

Il existe des centaines d'islams différents... Les États pourront-ils parvenir à un point d'entente entre toutes ces tendances sans jamais parler de théologie et de mode de vie ? Je ne crois pas. La vie des individus change selon l'islam pratiqué. Certains s'appuient sur le Coran pour décider comment boire un verre d'eau. Comment Emmanuel Macron, Theresa May ou Angela Merkel pourraient-ils créer des instances capables de mettre tout le monde d'accord sans parler théologie ? C'est tout simplement impossible.

Faut-il laisser perdurer l'islam consulaire ?

Aucun pays culturellement ou religieusement chrétien ne peut servir théologiquement les musulmans. C'est pour cela qu'il est impossible de « débrancher » l'islam consulaire. La période est hésitante. Dans un monde où le populisme progresse, blesser les populations musulmanes, c'est s'exposer à des revers politiques et sociaux. Il faut trouver un moyen de structurer de bonnes relations sans que personne n'ait l'impression de perdre son âme.

Comment ne pas renforcer la conflictualité entre les musulmans d'Europe et leurs pays ?

Avec la flambée des populismes et la faillite des islams consulaires, nous sommes dans une situation morale terrible : il est impossible de construire quoi que ce soit, le sol est trop instable. Si l'on veut cultiver une atmosphère de paix et de tolérance en Europe, il faut encourager l'émergence d'un islam européen. Car les populations originaires des pays musulmans sont réparties dans tous les pays d'Europe. Elles n'accepteront pas de se plier à des théologies qui varient selon les pays où elles résident. S'il fallait créer une nouvelle instance morale de l'islam, elle devrait assurément se penser à l'échelle européenne.

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Commentaires (15)

  • allobrogevaillant

    Est un sous marin d'erdogan ; ses propos sont incohérents

  • lécologieçasuffit

    Sous couvert de raisonnements chatoyants, ce n est ni plus ni moins une vulgate frères musulmans.

  • nominoe

    En gros c'est aux états laïques de s'adapter aux différentes facettes de l'islam (on parle encore que de l'islam sunnite) islam qui est politique et affairiste avant d'être éventuellement une pensée religieuse. Désolé mais c'est exactement l'inverse : l'islam doit respecter et se plier aux lois de lao République et l'attitude ferme autrichienne est la seule réponse. Lorsqu'on est faible on se fait bouffer comme par une sceticimie et ensuite il faut s'amputer. C'est à dire abdiquer ses lois abdiquer sur la maîtrise du territoire abdiquer sur l'éducation abdiquer sur la langue nationale.