Martine Roure Rubrique

Turquie membre de l’Union européenne : l’essentiel reste à faire Le point de vue de Martine Roure


L’Europe a déjà connu cinq élargissements successifs depuis la signature du traité de Rome : en 1973 le Danemark, l’Irlande et la Grande Bretagne ; en 1981 la Grèce ; en 1986, l ’Espagne et le Portu-gal ; en 1995, l’Autriche, la Finlande et la Suède. Aujourd’hui, nous sommes à la veille de la plus grande vague d’élargissement puisqu’au 1er mai 2004, ce sont 10 états qui vont enfin nous rejoindre.
Ces élargissements ont fait débat, ils ont fait naître des interrogations ; des discussions ont eu lieu mais jamais nous n’avons connu des positions aussi passionnées qu’avec la demande de l’entrée de la Turquie dans l’Union. C’est sans nul doute que l’entrée de la Turquie pose des questions essentielles : que voulons-nous réellement faire de l’Union et où s’arrête l’Union ?
Si tout pays qui a un bout de son territoire sur le continent européen peut demander son adhésion à l’Union européenne, nous nous éloignerons alors de l’Union telle que nous la connaissons pour nous rapprocher tout simplement du fonctionnement du Conseil de l’Europe. Nous irions simplement vers une zone de libre échange mais ce ne serait plus un projet politique commun. Nous devons nous donner des limites.
Avant tout critère politique ou économique et, premier fait objectif, la Turquie n’a qu’une partie minimum de son territoire en Europe, en effet, 97% de sa superficie sont situés sur le continent asiatique. Ainsi, que dire à la Russie, qui est candidate à l’entrée dans l’Union et qui se trouve dans le même cas que la Turquie avec une petite partie de son territoire en Europe et l’essentielle en Asie ? Si nous acceptons la Turquie, nous ouvrons la porte à d’autres états qui ne sont plus sur le sol européen. Alors que nous n’avons pas encore répondu à la question : l’Europe jusqu’où ?
La Turquie a été reconnue comme ayant « vocation européenne » en 1963, et elle a été acceptée comme pays candidat en décembre 1999. Constatons que, depuis 1963, peu de choses ont été accomplies pour démontrer un désir de nous rejoindre et nous pouvons parler de quarante ans pour rien. Les progrès sont vraiment minimes. Il est plus facile de faire la liste des points de divergence que des progrès réalisés.
La Turquie fonctionne politiquement sur des règles différentes des 25 états qui composeront l’Union européenne. En effet, la constitution adoptée sous un régime militaire en 1984 ne permet pas de garantir l’état de droit et les libertés fondamentales. La philosophie de base de l’état turc comporte des éléments tels que le nationalisme ou la surdimension du rôle de l’armée, seule force qui permette de garantir la laïcité de l’état turc. Quant au respect des minorités, là encore la Turquie a des changements radicaux à opérer.
Autre sujet qui doit être évoqué, c’est la reconnaissance du génocide arménien. L’Europe sait qu’il y a eu génocide en 1915. Le Parlement Européen l’a dit, l’a nommé, dans une résolution en date du 18 juin 1987. La Turquie continue, au jour d’aujourd’hui à nier les atrocités commises par les autorités de l’époque, et le Parlement Européen s’est inquiété des récentes circulaires du ministère turc de l’éducation intimant aux écoles primaires et secondaires du pays de prendre part à une campagne négationniste à propos de l’oppression des minorités au cours de l’histoire de la Turquie, en particulier à l’égard de la communauté arménienne. Une telle initiative est en contradiction avec la conception européenne des questions d’éducation. On voit mal comment un pays peut rejoindre l’Union en niant son histoire et ses erreurs.
Le gouvernement turc a promis qu’il allait éradiquer la torture de son sol, mais franchement n’est-ce pas le moins que l’on puisse faire si l’on veut entrer dans l’Union européenne, qui vient de promulguer la charte européenne des droits fondamentaux !
Nous sommes loin des critères de Copenhague.
Il faut un véritable débat au Parlement européen et à tous les niveaux de l’Union. Actuellement, les positions sont très divergentes à l’instar de ce qui vient de se passer à la session de mai du Parlement européen, lors du vote du Rapport OOSTLANDER sur l’entrée de la Turquie. Certains ont voté positivement pour saluer le lifting de la Commission des Affaires Etrangères afin de rendre ce rapport plus lisible, d’autres ont voté positivement pour ne pas donner un signal négatif à la Turquie et écarter d’emblée son adhésion, d’autres enfin ont voté pour dire à la Turquie qu’elle était encore très loin de pouvoir adhérer. Difficile de s’y retrouver ! Et la question religieuse finit de tout embrouiller, certains revendiquent une Europe aux racines judéo-chrétiennes, qui de ce fait tenterait de montrer que c’est pour cela que la Turquie n’a pas sa place au sein de l’Union. Le débat n’est pas à ce niveau.
D’ailleurs, la religion musulmane est très implantée sur le sol européen et les musulmans sont des citoyens européens. Le fait religieux est à dissocier du politique, l’Europe n’est pas un club chrétien.
Pour nous, français, il suffit d’être un club laïc. Les musulmans comme les autres sont les bienvenus. Eux aussi ont marqué notre histoire. Demain, ceux de Bosnie et d’Albanie viendront nous rejoindre.
Nous avons dit à la Turquie qu’elle pourrait un jour nous rejoindre. L’Union Européenne a promis et ce n’est jamais bon d’humilier un peuple. Je pense que l’Union a eu tort de donner sa parole, mais je considère aussi qu’elle ne peut la reprendre comme cela. Nous aurions peut-être intérêt à dire clairement et rapidement ce que nous voulons et s’il n’y a pas d’adhésion à la clé il peut y avoir des partenariats privilégiés et des traités d’étroite association qui pourraient vraiment répondre aux désirs des uns et des autres.

par le mardi 1er juillet 2003
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Martine Roure est députée européenne PS