Meïr Waintrater Rubrique

Un scandale américain


Une université doit se défendre, en ce moment, contre une action en justice. Que lui reproche-t-on ? D’avoir déclaré que des écrits niant un génocide ne sont pas une base de travail pour les étudiants. En d’autres termes, l’université est en butte aux défenseurs des génocidaires, qui voudraient faire passer leur discours de négation pour un discours légitime.

L’université est américaine ; elle a son siège à Minneapolis, la plus grande ville de l’État du Minnesota. Le génocide dont il est question est le génocide des Arméniens, perpétré par le gouvernement ottoman à partir de 1915. Et la plainte est déposée par la Turkish Coalition of America, une organisation qui prétend que le génocide n’a pas eu lieu.

La plainte vise le Centre d’étude de l’Holocauste et des génocides, qui fait partie de l’Université du Minnesota. Ce Centre a un site internet destiné à ses étudiants et chercheurs. Il y indique, entre autres choses, des lectures recommandées. Il y indique aussi que d’autres textes sur ces sujets ne sont pas « fiables », à commencer par les textes de la Turkish Coalition.

Colère des lobbyistes turcs, qui portent plainte contre l’université, contre son président, et contre Bruno Chaouat, l’enseignant qui dirige le Centre. On les a diffamés, disent-ils, on leur refuse le droit à la parole. Ils se posent en victimes parce que des universitaires ont porté un jugement scientifique sur les discours négationnistes - ce qui est leur droit, et même leur devoir. L’université se défend, bien sûr, et elle a toutes les chances de gagner ce mauvais procès. Mais le trouble est jeté dans les esprits.

Tout cela paraît loin, très loin de nous. En réalité, nous sommes directement concernés. Pas seulement parce que l’universitaire mis en cause, Bruno Chaouat, est un citoyen français. Ce qui se produit aujourd’hui à Minneapolis risque de se produire demain à Paris, si nous n’y prenons garde.

Chez nous aussi, la négation du génocide des Arméniens a ses avocats. Et les négateurs de tous les génocides se ressemblent. Ils ne se contentent pas de prêcher la haine ; ils veulent imposer leur présence dans un débat où ils n’ont pas leur place.

Imaginons Pierre Péan donnant un cours sur le génocide des Tutsi au Rwanda, imaginons Faurisson et Garaudy enseignant l’histoire de la Shoah. Ridicule, odieux, intolérable ? Oui, mais guère plus que ce que certains prétendent dicter à l’Université du Minnesota. Le combat de cette université et de ses enseignants, pour le simple droit de dire la vérité sur les génocides, est aussi notre combat.

8 décembre 2010
Meïr Waintrater
Rédacteur en chef de l’Arche, mensuel du judaïsme français.

par le samedi 22 janvier 2011
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