ARMAND SAMMELIAN Rubrique

Ad nauseam


Cent années se sont écoulées comme 100 sentinelles plantées contre l’oubli et la patience des Arméniens est à bout. Pourtant, le 23 avril 2014, le nouveau Sultan de Constantinople alors premier ministre adressait les condoléances officielles de la République de Turquie aux « petits-fils de tués » assorties de quelques inepties recuites dont la fameuse commission d’historiens.

Il faisait ainsi le choix d’être la voix d’une plume dont on ne sait quelle main la tenait pour la satisfaction dont on ne sait quel plan obscur, afin de tenir la Turquie debout comme la corde tient le pendu.

Pour autant, le monde arménien se mettait à espérer.
Aujourd’hui, six mois plus tard, suite à la remarquable tribune du ministre des Affaires Étrangères de la République d’Arménie Edouard Nalbandian parue le 7 septembre 2014 dans le figaro.fr, il apparaît qu’une épreuve de force de portée historique est à la manœuvre en France aussi bien qu’en Suisse et au Canada, ou encore en Syrie avec le dynamitage du mémorial de Deir Ez-Zor, faite d’impostures et de falsifications à une échelle inconnue jusqu’ici, fruit de l’action d’une formidable armada de mercenaires prétendus sachant obéissant au doigt et à l’œil au nouveau Calife pour lequel la société turque idéale ne peut que s’inscrire dans l’ordre divin des choses.

Ces serpents serviles et lettrés vont en s’insinuant entre les animaux politiques jusqu’à leurs gamelles et n’ont cure de l’extermination d’un peuple bafoué dans ses droits qu’ils jettent en pâture sans état d’âme à la vindicte populaire turque la plus radicale.

Ces ignobles révisionnistes, soldats offerts aux plus offrants, ont la mission d’estropier pied-à-pied les événements sanglants de 1915 commis contre un peuple crucifié au nom du Coran hors l’apostasie.

Qu’on en juge sans parti pris !

En Anatolie arménienne, depuis un siècle, le vide est manifeste. La rocaille a pris la place des champs cultivés dans la douleur par le rude peuple arménien. Un lourd silence s’est installé sur ces terres arides jadis florissantes qu’aucune main calleuse ne retourne plus. Au cœur de chacune de ces pierres est gravé le nom de chacun de nos martyrs et ces noms sont les nôtres.

Les Arméniens disparus, spoliés jusqu’au dernier bouton de leur misérable chemise, la vie qu’ils entretenaient s’en est allée avec eux.

Étrangers sur leurs propres terres, ces femmes, enfants et vieillards soi-disant dangereux ennemis de l’intérieur, n’imaginaient pas que le flot de leur sang viendrait s’échouer sur les rives d’une justice internationale aphone.
Dieu mort et son Verbe désincarné, Satan n’a plus cessé de conduire le bal de cette marche à reculons depuis les cours martiales turques de 1919.

Pourtant, un siècle de silence et de déni n’a pas rendu l’innocence aux coupables, nonobstant tous ces égarés chargés de déformer les faits, détruire bâtiments et documents et fabriquer une mémoire lacunaire au service d’un état génocidaire qui ne consent toujours pas à concéder la moindre once de la terrible vérité en trônant fièrement sur une montagne de cadavres.

Ce n’est d’ailleurs pas mince perfidie que de voir en 2014 la communauté internationale s’inquiéter du sort fait aux chrétiens d’orient, en passant sous silence sournoisement le génocide des Arméniens dont les têtes décapitées et empilées formaient d’immenses et effroyables pyramides au nom d’une guerre sainte qui ne disait pas son nom.
Bien plus !

Un siècle après l’ignominie, s’ajoute l’intimidation arrogante des puissants, mise en scène sous ses aspects les plus machiavéliques par l’intercession affichée de ces parangons du double langage qui, comme le paratonnerre, protègent indéfiniment la Turquie de la foudre.
On se bouche les narines quand on sait l’impunité dont la Sublime Porte a pu bénéficier sans discontinuité depuis ce massacre des innocents dont leurs descendants, encore frappés de douleur, se sont naïvement tournés vers le Juge et la garantie qu’ils pensaient qu’il lui apporterait contre les scélérats de tout acabit au plan moral, médiatique et des réparations.
100 ans d’échecs plus tard, il est manifeste que cette franche moutonnaille avance masquée en rangs serrés sur les cinq continents pour couvrir d’un manteau de preuves savantes des faits accablants qu’en 1987 l’Europe condamnait déjà.
Ces faussaires félons, sans foi ni loi, doivent savoir qu’aucune académie, conservatoire ou sacré collège ne pourront jamais justifier que des milliers de villages arméniens d’Anatolie ont été vidés simultanément de la totalité de leur population selon un ordonnancement planifié au plus haut niveau du commandement jeune-turc en pleine première guerre mondiale, torturée, démembrée, assassinée et spoliée sans retour possible.

Car aujourd’hui encore, la couleur du déni est celle d’un billet vert qui passe de mains en mains de manière invisible signant le degré zéro de l’indignité.
C’est ce billet qui entretient les lobbies turcs, ses réseaux, ses associations, ses instituts, ses officines et les cénacles de tous poils qui commandent la transformation de l’homme en animal. C’est ainsi que les oiseaux chantent dans leurs cages et que les clans d’affaires ne cessent de s’engraisser pendant que le Grand Turc matraque ouvertement son peuple, embastille ses intellectuels, vire ses policiers et magistrats les plus probes.

Il est clair que le nouveau Commandeur des croyants apparaît plus rétif à l’occidentalisation de la société turque synonyme des droits de l’homme et la liberté de l’Internet qu’à l’Occident avec lequel il commerce.
La barbarie marchande aura broyé la cause arménienne avec autant d’ardeur que la violence de l’hystérie turque dont le cœur balance entre islamisme et islam.

Au pays de la Grande République Turque laïque aux 60000 mosquées, c’est encore ce billet qui fait les singes, les perroquets et les borgnes au bénéfice de la plus grande entreprise de mystification que le monde civilisé porte sur ses minables épaules depuis l’attentat commis contre les Arméniens en 1923 par les pays de l’Entente à travers le traité parjure de Lausanne, là où l’horloge du temps s’est arrêtée pour 1,5 million d’Arméniens.

On aurait tort de minimiser la mesure des dégâts que cette commémoration centennale pourrait causer sur l’âme des Arméniens au regard de l’espoir qu’ils mettent dans cet événement à charge symbolique sans égale suite aux condoléances du Sultan dont nombre d’entre eux ont réellement pensé qu’il parlait juste alors que c’était juste pour parler...
En ce proche triste anniversaire qui imposera aux Arméniens de la planète le devoir de clamer haut et fort les mots que leurs grands-parents n’ont pu prononcer contre la monstrueuse machine d’État turque, c’est encore l’odeur conjuguée, devenue irrespirable, du pétrole, du sang et de la merde, qu’il leur faudra surmonter.

Une nécessaire synergie devra animer la diaspora et l’oligarchie arménienne dans cette exceptionnelle circonstance car du limon de nos terres ancestrales souffle l’esprit des nôtres qui nous appellent à l’unité.

Pendant ce temps, les loups hurlent la nuit au clair de lune sous la voûte étoilée de cette Turquie de tripots annonçant des lendemains qui déchantent.

Il est à craindre que si tel était le cas, si le déni et la provocation l’emportaient sur le dialogue, la reconnaissance et la repentance, alors la patience des Arméniens aurait atteint ses limites.

À vomir !

Ad nauseam...

Armand SAMMELIAN
Octobre 2014

par le mardi 7 octobre 2014
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