ROBERT AYDABIRIAN Rubrique

Après l’émotion M. le Président, révisez votre politique étrangère


Les drames de janvier nous ont plongé dans une profonde émotion mais les innocentes victimes enterrées, il nous faut réfléchir et comprendre où se cachent les racines de ces actes inhumains que nous avons vécus, en région parisienne, à quelques pas de chez nous, et depuis longtemps au Moyen-Orient, à moins de quinze heures de route de notre chère Arménie.

Mettre fin à ce déchainement de haine, de violence et d’affrontement qui déstabilisent des sociétés entières pour les décennies à venir suppose, comme vous l’avez bien fait M. le Président, de reposer les bonnes questions. Celles du vivre ensemble, du rôle de l’éducation nationale, de la prééminence des principes républicains et de la liberté effective de la presse. Mais je vous prie de soulever aussi, clairement, celles liées à notre politique étrangère où nos priorités et alliances doivent être révisées. L’actuelle politique est trop dogmatique et néo-conservatrice. Elle risque d’entrainer la France aux pires compromissions à cause des ambitions démesurées de la Turquie, du Qatar, de l’Arabie Saoudite et
de l’Azerbaïdjan.

« L’islamisme radical qui frappe d’abord les musulmans s’est nourri de toutes les contradictions, de toutes les influences, de toutes les misères, de toutes les inégalités, de tous les conflits non réglés depuis trop longtemps », avez-vous déclaré si justement à l’Institut du Monde Arabe.

Alors M le Président, évitez d’alourdir, entre autres, « le Dossier noir de la relation Franco-Syrienne » reconstitué avec talent par le grand reporter Georges Malbrunot (*). Ne répétez pas les erreurs d’appréciation des 30 dernières années. Elles n’ont fait que mettre de l’huile sur le feu en Syrie, en Libye et en Afrique, là où sont maintenant enrôlés et endoctrinés plus de 2000 jeunes français partis se battre pour on ne sait quel idéal et qui reviennent, déshumanisés, poursuivre leur djihad en France. En décimant la rédaction de Charlie Hebdo, ils nous ont privés d’hommes de chair et de sang, riches en idées et aux talents multiples que l’on peut apprécier au travers des confidences livrées à Numa Sadoul et publiées de façon prémonitoire en mai 2013 (**). On découvre que Cabu le plus représentatif de ma génération, enfant de la République, était un optimiste qui pensait chaque jour à la mort afin de l’affronter avec courage.

Alors M. le Président, ne repartez pas dans une guerre tous azimuts avec les moyens réduits que nous avons. Cherchez des solutions réalistes qui apaiseront les conflits en cours, de l’Ukraine jusqu’au Nigéria.

Choisissez mieux vos ennemis et vos alliés. Ce sont les djihadistes qu’il faut mettre hors d’état de nuire. Ils sont une menace pour tous les pays de la région y compris pour ceux qui les ont soutenus. La Russie, l’Iran et la Syrie sont des alliés objectifs. La Jordanie peut aider à dissocier les tribus sunnites des sectes extrémistes. Aidez les élites sunnites à retrouver leur juste place au sein des armées et des administrations syriennes et irakiennes. Défendez les Kurdes et encouragez-les à gérer correctement leur autonomie régionale au sein des différents pays qui les abritent. Pour cela, appuyez-vous sur le pragmatisme de votre premier ministre, Manuel Valls. Avec Mme Merkel, réglez la crise ukrainienne en faisant enfin lever ces sanctions qui ne profitent à personne et contribuez à faire aboutir l’accord sur le nucléaire iranien.

Vous le savez, la paix dépend in-fine des négociations entre Paris et Moscou, Washington et Téhéran, Tel Aviv et Ramallah, et la sécurité de vos concitoyens, d’une meilleure coopération entre services de renseignement et gouvernement. Montrez M. le Président que la France a tiré toutes les leçons des drames humains qui ont frappé son cœur et à son esprit du 7 au 12 janvier 2015. C’est cent ans après l’exode des Arméniens, vers les déserts syriens, vers ces camps d’extermination, dont même les ossuaires n’ont pas été respectés par ces nouveaux barbares.

Y-a-t-il pire blasphème que l’insulte faite aux morts ?

* « Les chemins de Damas » Christian Chesnot et Georges Malbrunot. Editions Robert Laffont, 2014.

** « Dessinateurs de Presse » Numa Sadoul, Editions Glénat.

par le dimanche 18 janvier 2015
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