ARMAND SAMMELLIAN Rubrique

Ecoute Israël


Soyons justes !
Les Juifs ont longtemps été les bons compagnons des Arméniens dans les jours redoutables de leur histoire.
Chacun se souvient de l’entrevue, le 11 août 1915, entre TALAAT Pacha et l’ambassadeur juif américain MORGENTHAU dénonçant pied à pied « les efforts turcs pour exterminer la race arménienne », comme chacun se remémore l’appel à la solidarité entre Juifs et Arméniens contre la dictature jeune-turque, lancé en novembre 1916 par Aaron AARONSON chef du réseau d’espionnage juif « NILI ».
Rappeler la compassion de Chaïm WEIZMAN, futur premier président israélien qui déclarait, dès avril 1918, de façon funestement visionnaire : « Parmi tous ceux qui souffrent autour de nous, y-a-t-il un peuple dont le martyrologue soit plus proche du notre que celui des Arméniens ? », est un impératif.
Évoquer le livre lumineux de l’écrivain juif autrichien Franz WERFEL paru en 1933 à la gloire de la résistance des villageois de Moussa Dagh face à l’armée ottomane est un devoir.
Et nous nous souvenons de la création du néologisme de « génocide » par l’avocat juif polonais Raphaël LEMKIN en 1944 sur l’exemple tragique de l’extermination planifiée et systématique des Arméniens ottomans en raison de leur race et de leur religion.
Une honnêteté élémentaire nous oblige de dire aussi que le YISHUV, la communauté juive de Palestine d’avant 1948, a constamment soutenu au son du shofar la Cause Arménienne tout comme, au fil du temps, une majorité croissante de l’opinion publique israélienne et de la diaspora mondiale juive, à l’exclusion évidente de la minorité juive captive de Turquie et de leurs frères cachés les puissants Dönmeh....
Et chacun se félicite que la prestigieuse ligue anti-diffamation juive américaine soit enfin devenue pro-arménienne sous la récente impulsion de son président Jonathan GREENBLATT.
Dont acte(1) !
Reste que depuis la création de l’État d’Israël, une étrange maladie semble frapper ses gouvernants dès leur accès au pouvoir, comme happés par le trou noir des « affaires ». Son principal symptôme se manifeste par un silence d’État qui se joue de la vérité en dépit de la pugnacité réelle pro-arménienne de la KNESSET, la chambre des députés israélienne et de sa commission de l’éducation.
Cette parole confisquée n’est pas le fruit du traumatisme provoqué par la Shoah, celui qui noue la gorge des Enfants d’Israël, celui bien compréhensible qui tait les mots face à une horreur obsédante qui retient une langue sèche.
Non ! Ce silence d’État calculé est une posture volontaire qui défigure le visage d’ERETZ ISRAËL parce qu’il pose la question de la déconnexion entre une raison d’État broyée par une realpolitik diabolique et l’illusoire « lumière parmi toutes les nations » qui a présidé à sa naissance prophétique, il y a près de 70 ans.
Nous dirons que sa disgrâce vient de son refus indécent à qualifier par son nom les persécutions subies par le peuple arménien en Asie Mineure pendant la Grande Guerre afin de complaire au Grand Turc et déjouer la responsabilité morale qui pèse sur ses épaules, s’agissant d’un Crime contre l’Humanité qu’Israël ne saurait méconnaitre plus longtemps, ne serait-ce parce que l’impact du génocide impuni des Arméniens - car c’est de cela qu’il s’agit - sur la genèse de la Shoah a été suffisamment négligé par la plupart des historiens alors qu’il en est la principale clef d’entrée.
Parce que c’était bien le silence fait autour de cette monstruosité première exécutée par les Jeunes-Turcs envers les Arméniens qui avait inspiré Hitler à commettre une réplique apocalyptique 25 ans plus tard à l’encontre des juifs d’autant que les nazis, en ces temps de darwinisme raciste, attribuèrent la réussite de la Turquie kémaliste des années trente à l’épuration de la race arménienne considérée comme des Juifs d’orient à l’instar des Juifs d’Europe du 3e Reich !...
Mais aussi parce que le bruit et la fureur des hordes islamistes fanatisées par l’appel au Djihad lancé par le « Comité Union et Progrès » Jeune-Turc, dès novembre 1914, n’eurent rien à envier à ceux des divisions SS des années 40 : les exécutions, les tortures, les agonies, les déportations, les spoliations, le sang des innocents versé lors de la première et de la deuxième guerre mondiale étaient strictement les mêmes !
Mais encore parce ce que le Frère Musulman ERDOGAN est l’héritier manifeste du Grand Mufti de Jérusalem HUSSEINI qui commanda la 13e unité islamiste Waffen SS Handschar de Bosnie en 1943 outre qu’il s’inscrit ouvertement dans la droite ligne antisémite du Califat souhaité par le fondateur de la Confrérie, Hassan EL BANNA, le grand-père des frères RAMADAN et qu’il rêve d’instaurer une république islamique turque contre-kémaliste.
Ce mutisme nous apparait donc impossible, serait-il habillé de neutralité, à défaut de valider une mémoire sélective qui se moque du malheur arménien, ignore la vérité pour mieux la balayer et plier devant un chantage turc débridé.
C’est pourquoi Israël ne saurait se murer plus longtemps dans une discrimination insoutenable succombant à une passive indifférence devant les abominations que les Arméniens aient eues à connaitre.
D’autant plus insoutenable qu’un évènement historique capital s’est produit le 2 juin 2016 au Bundestag, le parlement allemand : l’aveu de la complicité de la perpétration du génocide des Arméniens en 1915, le premier génocide du 20e siècle, par les mêmes salauds qui ont accompli le génocide des Juifs en 1940, un aveu crucial qui met en pleine lumière la filiation du destin de deux peuples ensanglantés par le même bourreau, l’un et l’autre connaissant les tourments d’une mémoire transmise dont ils sont prisonniers et dont on pouvait présumer qu’elle générerait une solidarité d’infortune d’ordre sacrée : celle de deux peuples décimés et dispersés, suspendus entre deux mondes à leurs martyrs, incapables de tracer une frontière étanche entre le passé et le présent.
C’est la raison pour laquelle le silence de l’État hébreu s’avère être dorénavant moralement et symboliquement inacceptable car, par son histoire, sa destinée, sa mystique, il est un État particulier qui ne saurait jouer la carte du déni et ménager une Turquie sans foi ni loi au nom du démon de l’argent. L’analogie des passés respectifs fait de lui un État unique dont la singularité devrait exclure toute manœuvre ou renoncement autour du génocide arménien. Au demeurant, ses intérêts commerciaux, vitaux et sécuritaires ne seraient nullement altérés s’il s’ouvrait à la réalité sanglante du peuple arménien. Que l’on sache, la rupture des relations turco-israéliennes suite à l’épisode du « Mavi Marmara » en 2010 n’a affecté en rien l’existence d’Israël.
Au surplus, personne n’a jamais prouvé que la reconnaissance du génocide des Arméniens par Israël remettrait en cause la véracité de la Shoah, la banaliserait ou la minimiserait. Bien au contraire, elle le grandirait en faisant du peuple du Livre le héraut de la lutte contre une monstruosité universelle et imprescriptible qu’il a lui-même subie.
Dans l’attente, il nous faut donc prendre acte avec désolation que, par-delà toute exigence de vérité historique, de morale, de justice ou même de simple humanité, la Maison Israël a délibérément opté d’esquiver la question arménienne et d’éluder cette mémoire dérangeante au prétexte fallacieux et pervers qu’elle concurrencerait l’unicité de sa propre histoire et porterait atteinte à ses accords alimentaires de circonstance avec une Turquie génocidaire et négationniste, raciste, islamiste et antisémite...
Ce que personne au monde n’ignore.
Disons que si tous les négationnistes ne sont pas juifs et tous les Juifs négationnistes, loin s’en faut, l’État juif nous laisse dans une amère désillusion, notamment depuis la résolution historique du Bundestag du 2 juin 2016, lui qui aurait eu beau jeu de devenir le champion naturel d’une reconnaissance qui, si elle tardait encore, ne serait qu’une reconnaissance forcée voire sous influence ou encore dictée c’est-à-dire une reconnaissance au rabais, aux antipodes du message hébraïque de fraternité universelle(2).
À ce stade de cynique dérobade, il convient de constater l’image pour le moins brouillée d’Israël, à la remorque d’anglo-américains émétiques dont les jeux pervers légitiment indéfiniment la présence d’une Turquie duplice et arrogante au sein des nations dites civilisées alors qu’elle n’a jamais cessé d’effacer, méthodiquement, dans une omerta absolue, toute trace de civilisation arménienne de ses terres ancestrales, y compris au tractopelle dans les cimetières.
D’autant que ce silence impitoyable d’Israël ne saurait prospérer sauf à profaner son identité judaïque par une sorte de reniement inversant la centralité de ses valeurs spirituelles et humanistes pour des promesses de gras et verts pâturages, sonnantes et trébuchantes...
On peut regretter ou se réjouir du grand écart pathétique effectué par un « deus ex machina » israélien pro-turc transmutant l’or en plomb et cannibalisant ses lois divines pour une sordide sécularisation.
Mais tels sont les faits !
En ralliant par son silence le négationnisme d’état turc, en dépit de la résolution explicite du Bundestag du 2 juin 2016 qui reconnait formellement la complicité du 2e Reich dans le génocide des Arméniens à la suite du président de la République Fédérale Allemande JOACHIM GAUCK en 2015, Israël participe à l’effondrement du mythe du « Peuple élu » et rompt une alchimie politico-théologique présentée comme l’alliance de l’ÉTERNEL avec les Hébreux « comme un époux avec sa fiancée » montrant le chemin à l’entière humanité. En sacrifiant l’esprit et la lettre de ses prophéties pour un clair-obscur sacrilège, l’hubris israélien dévoile l’errance d’un peuple élitiste dont l’indifférente fermeture à la tragédie arménienne cache mal l’outrage qui ajoute à l’humiliation subie.
Au reste, les Arméniens ne réclament pas la charité mais la condamnation internationale et notamment de la part d’Israël, d’un acte de barbarie avéré, laissé lamentablement sans suite depuis un siècle, contrairement à la Shoah.
Certes, il ne sert à rien de s’étrangler sur les égarements d’un peuple messianique qui n’hésite pas à se compromettre avec un État satanique alors même, circonstance sulfureuse, que le monstre en chef TALAAT Pacha, le « HITLER turc », célébré encore aujourd’hui avec éclat et ferveur en Turquie, était un Dönmeh de Thessalonique, musulman le jour et sabbatéen la nuit, condamné à mort à Constantinople en 1919, avec des dizaines de ses comparses pour « crime de lèse-humanité », au terme de huit procès par devant trois cours de justice militaire ottomanes siégeant sur ordonnance impériale.
De sorte que rappeler la défense de la Cause Arménienne par une poignée d’intellectuels juifs suite aux massacres hamidiés de 1895-1896 ordonnés par le sultan ABDUL-HAMID II est un devoir nécessaire. À condition d’ajouter que le sublime Bernard LAZARE claqua la porte de l’organisation sioniste naissante, non sans avoir fustigé son fondateur Théodore HERZL dans une lettre au vitriol dénonçant son allégeance au « Sultan rouge », aux seules fins de lui soutirer l’autorisation de la création d’un état juif en Palestine contre paiement des dettes impériales ottomanes et de l’occultation médiatique des 300 000 victimes arméniennes(3)...
Somme toute, un péché originel semble accompagner une politique israélienne expurgée de toute référence à ses traditions millénaires, si ce n’était la permanence de l’âme juive, cette flamme divine qui a survécu à l’enfer des camps, celle qui anime inlassablement les Bernard-Henri LÉVY, Yaïr AURON, Israël CHARNY, Alain FINKIELKRAUT, Élie WIESEL... Mais aussi tous les anonymes et tous les Justes, à la conscience pure, qui n’ont jamais cessé de dégager les mots de leur gangue, sans crainte, sans ingénuité ni indulgence, s’agissant d’un « détail » concernant l’extermination d’un million et demi d’êtres inoffensifs et innocents assassinés pour ce qu’ils étaient : des Arméniens chrétiens.
Il n’est pas certain que les martyrs juifs approuveraient cette mise en abîme méprisante et méprisable de martyrs arméniens réduits à la portion congrue de variable d’ajustement de piteuses politiques étrangères.
Mais puisque, en conscience, telle est ta volonté, alors écoute Israël, écoute ton silence étourdissant et récitons ensemble le kaddish des endeuillés.
Shalom alekhem !

Armand SAMMELIAN
Septembre 2016

• Voir « Maux croisés » (Novembre 2009)
• La THORA : L’ÉTERNEL dit à Moïse : « Vous ne ferez point des dieux d’argent et des dieux d’or pour les associer à mon nom ».
« Tu parleras des étrangers comme de toi-même » et « Tu n’opprimeras pas l’étranger car vous avez été étrangers vous-mêmes et vous savez ce qu’il éprouve ».
« Il y aura une même loi parmi vous, pour l’étranger comme pour l’indigène ».
LE LIVRE DE JONAS : le DIEU d’Israël est le DIEU de l’entière humanité.
LE TALMUD : « Ce que tu détestes pour toi-même, ne le fais pas à ton prochain. » et « Que l’honneur de ton voisin te soit aussi cher que le tien ! ».
LA KABALE : « Recherche toujours le point d’équilibre entre le cœur et la raison, entre la force et la sagesse » (le Din et le Hesed).
• Propositions faites au « saigneur » ABDUL-HAMID II par Théodore HERZL juste avant le 1er congrès de Bâle de 1897, un an après les massacres d’Arméniens préfigurant le génocide de 1915. Bernard LAZARE, journaliste, poète, écrivain, grand défenseur du capitaine DREYFUS, admiré de PÉGUY, scandalisé par ces propositions, adressera cette harangue aux congressistes sionistes restés indifférents sur le sort réservé aux Arméniens : « Les représentants du plus vieux des peuples persécutés, ceux dont on ne peut écrire l’histoire qu’avec du sang, envoient leur salut au pire des assassins (le « Sultan rouge », l’égorgeur de 300 000 Arméniens) et, dans cette assemblée, il ne se trouve personne pour dire que vous n’avez pas le droit de déshonorer votre peuple ! ».
Ces massacres seront à l’origine de la prise de la Banque Ottomane Impériale de Constantinople le 26 aout 1896 par un commando arménien dachnak dirigé par Babken SIUNI et Armen GARO.

par le dimanche 25 septembre 2016
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