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Pendant de nombreuses années, jusqu’à la guerre civile syrienne de 2011, la Syrie et la Turquie ont entretenu des relations très étroites. Dans le cadre d’une série de visites réciproques, le président Bashar al-Assad a effectué un voyage historique à Ankara en 2004, devenant ainsi le premier président syrien à se rendre dans cette ville. Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan s’est ensuite rendu à Damas pour signer un accord de libre-échange. En 2007, Erdogan et Assad ont assisté à la cérémonie d’ouverture du stade international d’Alep. Le commerce s’est développé grâce à l’exemption de visa. En 2008, Erdogan et son épouse ont accueilli le premier couple syrien pour des vacances dans la station balnéaire turque de Bodrum. En 2009, les deux pays ont organisé des manœuvres militaires conjointes le long de leur frontière commune. J’ai appris que le président Assad, pour apaiser son « allié turc », avait même interdit les livres sur le génocide arménien dans les librairies syriennes.
En 2008, au cours de cette période de relations douces entre les deux pays, le catholicos de Cilicie Aram I a rencontré le président Assad à Damas. Le catholicos m’a informé plus tard que le président Assad lui avait dit que les Arméniens commettaient une grave erreur en étant anti-Turquie et en parlant constamment du génocide arménien. M. Assad a déclaré que les Arméniens devraient oublier le passé et établir de bonnes relations avec la Turquie, qu’il a décrite comme un pays puissant et important. Il a suggéré que l’économie arménienne bénéficierait grandement du commerce avec la Turquie.
En tant que descendant des survivants du génocide arménien et militant de longue date pour que justice soit rendue aux victimes de ce crime de masse, j’ai été très contrarié d’entendre le terrible conseil du président Assad à Aram I. Gardant cette conversation à l’esprit, lorsque j’ai eu l’occasion de me rendre à Damas au début du mois de juin 2009, j’ai demandé à un ami arménien proche du président Assad d’organiser une rencontre pour moi avec le président.
Après mon arrivée à Damas, mon ami a appelé le palais présidentiel pour confirmer la rencontre. Le chef de cabinet du président a dit à mon ami de venir seul au palais pour parler du rendez-vous demandé. Une heure plus tard, mon ami est revenu du palais et m’a dit d’une voix déprimée que la réunion n’aurait pas lieu parce que le chef de cabinet avait vérifié mon nom dans Google et découvert que j’avais écrit des centaines d’articles critiques sur la Turquie et le génocide arménien. Il a donc dit à mon ami qu’il ne serait pas possible pour un anti-Turquie comme moi de rencontrer le président Assad en raison des relations amicales entre la Syrie et la Turquie.
Naturellement, j’ai été très déçu. La raison pour laquelle je voulais rencontrer le président Assad était de lui dire que non seulement ses conseils aux Arméniens étaient erronés, mais qu’il commettait lui-même une grave erreur en faisant confiance au président Erdogan. Je voulais dire au président Assad que les Arméniens ne connaissent que trop bien la nature trompeuse des dirigeants turcs, compte tenu du génocide dont les Arméniens ont souffert. Je voulais avertir le président Assad que le jour viendrait où son « bon ami » Erdogan le trahirait et le poignarderait dans le dos.
Je ne pouvais pas savoir en 2009 que deux ans plus tard, une guerre civile majeure aurait lieu en Syrie avec le soutien total d’Erdogan. Je n’étais pas sûr que, même si j’avais eu l’occasion de rencontrer le président Assad et de le mettre en garde, il m’aurait écouté. Quoi qu’il en soit, je voulais lui faire part de mes réflexions.
J’ai appris par la suite que le président Assad avait également dit à d’autres Arméniens qu’il avait rencontrés qu’ils devaient être amis avec les Turcs et la Turquie. Assad a particulièrement critiqué les Arméniens pour avoir brûlé le drapeau turc le 24 avril.
Après ma visite à Damas, le président Assad s’est rendu en Arménie les 17 et 18 juin 2009 et a proposé au président Serzh Sargsyan de servir de médiateur entre l’Arménie et la Turquie, en raison des « relations étroites » de la Syrie avec ces deux pays. Toutefois, le président Assad n’a pas effectué de visite protocolaire au mémorial du génocide arménien à Erevan, comme le font tous les dirigeants étrangers, pour y déposer une gerbe. Il s’agit là d’un nouvel exemple de la sensibilité excessive du président Assad pour ne pas contrarier la Turquie. M. Assad a également expliqué que, par déférence pour la Turquie, la Syrie ne pouvait pas reconnaître le génocide arménien.
La semaine dernière, Samvel Farmanyan, ancien député et attaché de presse du président Sargsyan en 2009, a indiqué dans un message publié sur Facebook que lorsque le président Assad a parlé avec enthousiasme de ses « excellentes relations » avec Erdogan, le président Sargsyan a répondu : « Vous ne connaissez pas les Turcs : « Vous ne connaissez pas bien les Turcs. Le moment viendra et nous jugerons sur le résultat ». Ce message est similaire à celui que j’ai voulu transmettre au président Assad à Damas.
Plus intéressant encore, en mars 2014, après plusieurs années d’attaques contre la Syrie orchestrées par la Turquie, lorsque Farmanyan a conduit une délégation parlementaire en Syrie et rencontré le président Assad, il lui a demandé de transmettre au président Sargsyan le message suivant : « Je me souviens très bien de notre conversation privée à Erevan [avec le président Sargsyan]. Assad a ensuite ajouté : « Le président Sargsyan avait raison. Nous ne connaissions pas bien les Turcs.
Naira Karapetyan, un autre membre de la délégation parlementaire qui s’est rendue en Syrie en 2014, a confirmé l’exactitude du rapport de Farmanyan sur le fait que le président Assad a reconnu qu’il avait eu tort de faire confiance à Erdogan.
Bien sûr, il était trop tard en 2014 pour que le président Assad réalise qu’il n’aurait pas dû faire confiance à Erdogan. Cette grave erreur a été l’une des principales raisons de sa chute.
Harut Sassounian
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