Votre publicité ici

(Pendant 7 jours)

Mais où est donc passé Bagrat ? par René Dzagoyan

Et voilà ! Le Landerneau arménien est retombé dans le silence. Il y a quelques jours encore la Diaspora française, suisse, belge et autres, résonnait des cris d’orfraie des défenseurs de la vérité historique : le premier ministre d’Arménie, clamait-on, remettait en cause l’existence du génocide des de 1915. En tête des protestataires, les partis politiques d’opposition, bien entendu, et les derniers restes des partis traditionnels, mis sous perfusion par les premiers. Qu’a donc dit en substance le premier ministre arménien pour soulever un tel tollé ? Citation ; « Comment se fait-il qu’en 1939, il n’y avait pas de programme de reconnaissance du génocide arménien et comment se fait-il qu’en 1950, le programme de reconnaissance du génocide arménien ait vu le jour ? » La question, en réalité, est quelque peu perverse. En effet, (et Suren Manukian, chef de département au Mémorial de Dzidzernagapert l’a judicieusement souligné), « Pachinian a laissé entendre que l’Arménie a commencé à qualifier les massacres de 1915 de génocide et à faire campagne pour sa reconnaissance internationale à l’instigation de l’Union soviétique. » Autrement dit, les partis politiques traditionnels et leurs organisations affiliées, qui ont fait du génocide leur fonds de commerce depuis un demi-siècle, ne seraient pas à l’origine de la quasi-universelle reconnaissance du premier génocide du XXe siècle. Sacrilège ! Qu’en est-il au fond ?

Si des ouvrages monumentaux comme ceux de Raymond-H. Kévorkian ou de ses précurseurs tels que Jean-Marie Carzou, Yves Ternon ou Vahagn Dadrian, ont documenté le fait du Génocide de 1915, il n’existe pas d’ouvrages qui retracent la genèse de sa « reconnaissance  par le pouvoir soviétique » et, ultérieurement par les Etats occidentaux. Les raisons qui ont conduit Moscou, en 1965, à utiliser le terme juridiquement définie de « génocide » pour qualifier 1915 et à l’officialiser, ne sont pas documentées. L’hypothèse que, dès les années 50, le Kremlin ait voulu susciter un regain de sentiment national en Arménie, pour créer une force-tampon face à la Turquie voisine qui venait d’adhérer à l’OTAN (18 février 1952), n’est pas à exclure. Pas plus que la volonté de Moscou, après le fameux 20ème congrès antistalinien du PC en février 1956, de rassurer les nationalités et restaurer leurs sentiments identitaires pour mieux consolider l’URSS. En tout cas, les raisons évoquées par Suren Manukian – voir plus haut – sont ouvertes à la recherche historique. Aussi est-il parfaitement légitime de se demander, comme le fait Pachinian, « comment se fait-il qu’en 1950, le programme de reconnaissance du génocide arménien ait vu le jour ? ».  Est-ce là un crime de lèse-génocide ? A chacun de juger.

Si l’on se réfère à l’étude de Harutyun Marutian, (publié en 2018 dans la revue « Genocide Studies » et repris sur le site du Mémorial du Génocide), les commémorations du 24 avril ont commencé dès 1919 à Constantinople, avant d’être célébrées à Alep, puis à Baghdâd, sous la forme de cérémonies religieuses et le plus souvent dédiées aux intellectuels déportés. En Arménie, le premier appel à commémoration apparait en 1920, sous la plume de Vartanès Papazyan, dans une lettre au catholicos Gévork V. Vu l’alliance d’alors entre le Kremlin de Lénine et la Turquie d’Atatürk, le concept est rapidement mis sous le boisseau. Le souvenir de 1915 continue néanmoins à se répandre en Diaspora sous l’influence de l’Eglise. Le terme de « génocide », forgé par Raphaël Lemkin en 1943, en référence aux événements de 1915, ne faisait donc pas partie du vocabulaire de ces célébrations qui, au demeurant, étaient purement intracommunautaires et n’avaient donc aucun caractère public. Ainsi, si l’on s’en réfère à l’étude de Marutyan, avant 1965, il n’existe aucune trace d’une revendication publique ou politique pour une « reconnaissance du Génocide » par un Etat, ni en Diaspora ni en Arménie soviétique.

Le terme de « génocide, créé en 1943, est introduit dans le droit international en 1948. Alors qu’elles disposent d’un formidable outil juridique, comment expliquer qu’entre 1948 et 1965, les organisations arméniennes de la Diaspora ne se soient pas emparées de ce concept, directement inspiré des événements de 1915, pour faire passer le souvenir intracommunautaire et religieux dans l’espace public, juridique et politique non-arménien ? Pourquoi a-t-il fallu attendre le coup d’envoi soviétique de 1965 pour que, de question mémorielle, 1915 devienne une question politique ? En d’autres termes, que faisaient donc, entre 1948 et 1965, ceux qui, en Diaspora, prétendent aujourd’hui être à l’origine de la promotion du génocide dans l’espace politique international et les gardiens uniques du Temple de la Mémoire ?

Le premier Etat non soviétique qui reconnait le génocide de 1915 est l’Uruguay en 1965, à l’instigation, dit la tradition, d’un groupe de Hentachkians émigrés à Montevideo. Le troisième est Chypre, en 1982, dix-sept ans plus tard. En 1984, la Chambre des Représentants des USA fait mention des événements du 24 avril sans le mot « génocide ». En France, le premier à prononcer le mot de génocide sous la coupole du Palais Bourbon est le député communiste d’Issy-les-Moulineaux, Guy Ducoloné, qui, de 1967 à 1977, réclama, à chaque 24 avril, la reconnaissance du Génocide arménien par la France. Vu son appartenance politique, on peut supposer que les partis traditionnels opposés à l’URSS ne lui ait pas accordé un soutien inconditionnel. Ce n’est que le 7 janvier 1984, à Vienne, soit 19 ans après les commémorations d’Erevan, que l’expression « génocide arménien » est prononcée par un officiel français, François Mitterrand, alors président de la République. On connait la suite.

De même, les actes commémoratifs ne sont venus que longtemps après l’inauguration du monument de Etchmiadzin en 1965 et du mémorial de Dzidzenagapert en 1967. Le premier monument dédié en France au génocide est érigé en 1972 à Décines-Charpieu. Le deuxième est élevé à Marseille en 1973, dans l’enceinte de la cathédrale apostolique. Cinq ans plus tard, en 1978, l’avocat Armen Barseghian et le grand mécène parisien Roger Tcherbachian, tous deux piliers historiques de l’Eglise apostolique, proposent au maire de Paris d’alors, Jacques Chirac, l’érection à Paris d’un monument qui verra le jour en 2003, par décision de Bertrand Delanoë et de sa première adjointe, Anne Hidalgo. Avant 1965, aucun monument dédié au Génocide.

Si le Génocide arménien a été reconnu par l’URSS à cette date, en revanche, les organisations arméniennes qui se sont donné pour objet sa reconnaissance par la France ont vu le jour longtemps après. Le Comité de Défense de la Cause Arménienne (CDCA), créé par la FRA dans ce but, a été fondé en juillet 1981, six mois après la déclaration de Mitterrand; le Comité du 24 avril, organisation unitaire ancêtre du CCAF, formé dans la même intention, a vu le jour en 1994, soit dix ans après la déclaration de Mitterrand. A la lumière de ces dates, se repose la question : qu’ont fait les partis traditionnels et leurs annexes avant 1965 pour la reconnaissance par la France de notre Holocauste ? Merci de faire parvenir les réponses dûment documentées à l’adresse des NAM. L’auteur de cet article se chargera de les faire parvenir au cabinet du Premier ministre d’Arménie.

Tout ceci est naturellement archiconnu des bonnes âmes horrifiées dont les imprécations ont retenti dans tous les médias arméniens, y compris celui-ci. Alors pourquoi tant d’atermoiements ? En politique, les sentiments, fussent-ils d’indignation, n’existent pas. En politique, il n’y a que des raisons politiques. Tout ce tapage n’a qu’une cause principale : les élections de juin 2026 en Arménie qui désigneront un nouveau parlement et un nouveau premier ministre. Voilà deux ans maintenant que l’opposition arménienne et ses avatars diasporiques ont entrepris une campagne de déstabilisation du gouvernement en vue de reprendre un pouvoir que le peuple arménien leur a retiré en 2018 et en 2021. En soutenant que le Premier ministre de ce gouvernement est un négationniste doublé d’un illettré, on tente de discréditer le gouvernement qu’il dirige. En dénigrant le gouvernement qu’il dirige, on veut démontrer qu’il est impopulaire. En tentant de démontrer qu’il est impopulaire, on veut l’affaiblir en Europe à un moment où le soutien de l’Union européenne est stratégique pour l’avenir du pays.

Cette dernière campagne de dénigrement est née parce que la campagne de déstabilisation de 2024 a échoué. Souvenons-nous, en mai de l’an dernier, les mêmes partis, les mêmes groupes, les mêmes médias, essayaient de renverser le gouvernement en place, pourtant incontestablement élu et réélu, par l’arrivée providentielle de la Jeanne d’Arc du Caucase, l’archevêque Bagrat Galstanian. Tous les médias arméniens d’opposition, et en France en tête d’ondes, AYP Fm, la radio d’Alfortville, ont chanté les vertus salvatrices de ce prélat envoyé de Dieu pour établir sur terre le royaume de l’Arménie Céleste (concept fort pertinent de Gaïdz Minassian). La promotion de la Pucelle du Tavoush ayant échoué, il s’agissait de trouver un autre cheval de bataille. La déclaration de Davos est venue à point nommé. Mais déjà les imprécations de nos puritains diasporiques ont le même destin que les clameurs messianiques en 2024 des partis politiques qui les inspirent. Faute d’une stratégie cohérente et digne des enjeux que vit le pays, les voilà réduits à accuser de faurissonade le Premier ministre de l’Arménie. Autant accuser le Catholicos d’athéisme.

De tout cela, il ne restera rien, sinon l’image déplorable d’une nation que des factions politiques sur le déclin et honnies de la population cherchent à diviser faute de pouvoir s’en faire élire. A défaut d’un programme autre qu’une soumission inconditionnelle au Kremlin, à défaut d’une crédibilité morale que tout leur passé dément, à défaut d’un leader digne du moment historique que vit l’Arménie, l’opposition arménienne et ses deuxièmes couteaux en Diaspora sont condamnés à des escarmouches verbales puériles, indignes des enjeux cruciaux où se joue l’avenir de la Nation. Dans cette pénurie d’idées et de dignité politiques, la Diaspora est utilisée comme caisse de résonance. Faute de pouvoir, faire descendre dans la rue la population d’Erevan, on demandera demain à la communauté arménienne de France d’aller protester sous les fenêtres de l’ambassade d’Arménie à Paris, des caisses de légumes avariés à la main, comme jadis. Voilà à quoi en sont réduits ceux qui revendiquent le pouvoir de diriger le destin d’une nation assiégée. Que ceux qui demain seront appelés à aller jeter des tomates sur le Premier ministre de l’Arménie sous le regard des officiels français, comme ils l’ont déjà fait, se souviennent. Où est le régime idéal qu’on leur a chanté ? Où est l’avenir radieux que l’opposition leur a promis sous la triple houlette de Kotcharian, de Dieu et des partis d’antan ? Où est donc passé Bagrat ?

René Dzagoyan


Nos lecteurs ont lus aussi

Votre publicité ici

(Pendant 7 jours)