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Le débat qui n’a malheureusement jamais eu lieu avec Pachinian, par Ara Toranian

Ses prédécesseurs n’ont pas fait mieux. Il n’empêche : la communication de Nikol Pachinian, relève plus que jamais du monologue que du dialogue démocratique.

Sa récente tournée en diaspora en témoigne. Venue à la rencontre des « communautés », le Premier ministre arménien n’a rien tenté pour les écouter. Il a délivré ses oracles, devant un auditoire trié sur le volet, expurgé de toute contradiction, ou presque.

Les représentants de la FRA, pourtant l’une des principales forces organisées de la diaspora, ont été soigneusement écartés. Une absence qui simplifie l’exercice : il est toujours plus aisé dans ses conditions d’éreinter un adversaire politique. Qui, d’ailleurs, ose aujourd’hui dans l’entourage du gouvernement contrarier le chef ?

S’il n’a pas l’intention, ou les moyens de museler l’opposition, Pachinian règne cependant en maitre absolu sur son environnement et ses troupes. Et malheur à qui ferait preuve d’un tant soit peu d’indépendance d’esprit ou d’un manque de zèle (Affaire Hovik Aghazaryan, entre autres). L’heure est aux courtisans. Non aux courants…

Cette conception du pouvoir a dicté la mise en scène des rencontres avec la diaspora : aucun débat, pas de droit de relance, une parole unilatérale, livrée à prendre ou à laisser. A Paris, le 10 février, les participants ont dû, au préalable, abandonner leurs téléphones et leurs montres, se garder de toute prise de notes. Seule la communication officielle du gouvernement était autorisée à rendre compte de l’événement. Cerise sur le gâteau : l’absence de traduction pendant une partie de la réunion, erreur qui n’a été comblée qu’à la demande de l’auteur de ces lignes. Comme s’il allait de soi que des Français invités maîtrisent l’arménien oriental ! Et comme si Pachinian lui-même avait besoin de comprendre ce qu’ils auraient à lui dire  ! Que l’on nous autorise à relever cette absence de courtoisie d’un côté, et cette tendance à la suffisance de l’autre !   Les deux allants sans doute de pair

Ces limites imposées n’ont donc pas permis d’aller plus loin avec Pachinian sur un certain nombre de vraies questions. Le directeur de la rédaction de NAM que je suis, aurait pourtant aimé pouvoir relancer le Premier ministre et ancien journaliste sur les questions suivantes. Les voici en vrac :

Une bonne fois pour toutes, la défense de la cause arménienne en diaspora constitue-t-elle un atout ou un fardeau pour l’Arménie ?

Le PM s’imagine-t-il qu’un pays comme la France qui a fait du 24 avril la journée nationale de commémoration du génocide de 1915 se serait impliqué en faveur de ce pays du Caucase, s’il n’y avait eu le rayonnement et les combats des 500 000 Français d’origine arménienne ?

L’alternative qu’il érige entre l’Arménie réelle et l’Arménie rêvée, ne constitue-t-elle pas le prototype même du faux débat visant à disqualifier ses adversaires politiques, l’Arménie n’ayant jamais émis de revendication territoriale à l’égard de ses voisins, y compris durant les 30 années pendant lesquelles l’opposition actuelle était au pouvoir ?

Cette rhétorique ne donne-t-elle pas du crédit aux accusations azerbaïdjanaises qui dénoncent le « revanchisme arménien » tout en propageant elles-mêmes un récit ultranationaliste ?

Pachinian s’imagine-t-il pionnier du pragmatisme et de la Realpolitik ? Comme si avant lui, Ter-Petrossian n’avait pas tenté de renouer avec Ankara, Kotcharian n’avait pas été soupçonné d’envisager un échange entre l’Artsakh et Meghri, et que les protocoles arméno-turcs de 2008 n’avaient jamais existé ? Croit-il vraiment être le premier à se confronter aux exigences de la raison d’État ? Et prend-il tous les autres pour de simples « rêveurs » ?

Si sa priorité est la sécurité de l’Arménie, pourquoi s’acharner à rompre les amarres avec la Russie, qui fut, bon gré mal gré, son rempart face au panturquisme ?

Quelle est dans cette orientation diplomatique, la part de gages donnée à l’Occident, et quelles garanties a-t-il obtenu en retour pour sa défense ? Si la sécurité est l’horizon indépassable du pays, la Révolution de Velours, en nous mettant en délicatesse avec Moscou, ne constituait-elle pas une grave imprudence ?

Pourquoi, alors qu’il s’était engagé à ne pas modifier les fondamentaux de la politique étrangère, s’est-il empressé, une fois au pouvoir, de renvoyer le chef de la diplomatie en place, artisan notamment du Sommet de la Francophonie à Erevan ?

Pourquoi, depuis son accession, a-t-il multiplié les provocations envers la Russie, tout en se montrant d’une docilité déconcertante face à la Turquie ? S’imagine-t-il capable de semer la zizanie entre l’Azerbaïdjan et la Turquie, deux Etats pour une même nation ?

Pourquoi avoir adhéré à la CPI, dans un défi ouvert à Vladimir Poutine, si c’est pour renoncer aujourd’hui à toute poursuite contre l’Azerbaïdjan ?

Et pourquoi, enfin, cette manie de culpabiliser son propre peuple ? Jusqu’à cette déclaration à Paris, où il s’est interrogé sur les raisons pour lesquelles « les Arméniens ont payé le prix fort en 1915, et pas les autres ». Une étrange inclination à l’autoflagellation nationale, comme si l’Arménie portait la responsabilité des persécutions qu’elle a subies.

Est-il seulement sérieux – et sûr – de prétendre à une intégration européenne alors que rien, côté Bruxelles, ne laisse présager une volonté réciproque ? Quand l’Arménie tire plus de la moitié de ses recettes en matière de commerce extérieur de son appartenance à l’Union économique eurasiatique, et 7,5 % de l’Europe, cette candidature ne relève-t-elle pas d’une pure posture idéologique, déconnectée du réel ?

Pourquoi ce travail de sape contre tous les piliers de la nation arménienne : son histoire, son église, sa diaspora, et même le Fonds arménien, tout y passe.

Où allez-vous, M. Pachinian, où conduisez-vous le pays ?

 

Ara Toranian


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