ITW d’Hasmik Arakelyan

« J’ai remplacé temporairement ma plume de journaliste francophone par une casquette de traducteur » Hasmik Arakelyan

Le nom de la journaliste arménienne Hasmik Arakelyan est souvent associé à la France, et à la Francophonie.
Elle n’est pas une journaliste francophone uniquement par profession mais aussi et surtout car elle est une grande amoureuse de la France, de sa langue et de sa culture.
J’ai profité de sa récente visite à Paris dans le cadre des célébrations des 100 ans de Charles Aznavour pour la rencontrer.

Monika Arakelyan-Chukurian : Chère Hasmik, vous avez un Master II Presse écrite/WEB de l’ESJ de Paris que peu de journalistes arméniens ont, un Master Journalisme Médias audiovisuels de l’Université d’État d’Erevan et une Licence en Linguistique de l’Université Brussov d’État des langues et des sciences sociales d’Erevan. D’où vient cette passion pour la France ?

Hasmik Arakelyan – Mon public me connaît comme journaliste et présentatrice TV francophone, mais mon métier n’est qu’une facette de ma passion pour la France.
Ma mère est cantatrice classique, elle a été soliste à l’église Saint-Jean-Baptiste à Erevan pendant 23 ans. J’ai commencé à chanter très jeune, bien que, contrairement à elle qui est soprano, je suis alto, ma voix s’est naturellement orientée vers la chanson française. J’ai d’abord chanté à l’école, puis lors de représentations universitaires où j’interprétais aussi bien des chansons françaises contemporaines que celles de Brel, Piaf, ou Mathieu. Pourtant, je n’avais jamais imaginé que le français deviendrait un jour mon chemin de vie. Au sens le plus littéral, le français m’a donné une seconde vie.

Mes liens avec la Francophonie remontent à mes années de licence. J’ai organisé un grand concert dédié au chant francophone, intitulé La France est dans notre cœur à l’Université Brusov, où j’ai réuni des étudiants de toutes les universités : du conservatoire à l’université de médecine. Mais le moment le plus inoubliable reste ma rencontre avec l’ancien secrétaire général de la Francophonie, Abdou Diouf, lors de sa visite à notre université. Le rectorat de mon université m’avait demandé de chanter pour la délégation la chanson de Charles Aznavour Une vie d’amour. Je n’oublierai jamais la standing ovation qui a suivi. Ensuite, j’ai eu de la chance d’avoir des interviews exclusives avec Michaëlle Jean et Louise Moushikiwabo. J’ai donc rencontré tous les SG de l’OIF à l’exception de Boutros Boutros-Ghali.

Dans ma vie, rien ne m’a été donné facilement. La racine de chacun de mes succès et de mes réalisations réside dans mon travail acharné, ma persévérance et mon enthousiasme sans fin. Même aujourd’hui, à l’âge de trente-trois ans, je demeure une grande rêveuse. C’est ainsi que lors de ma maîtrise en journalisme à l’Université d’État, dans le cadre des Journées de la Francophonie, j’ai initié un grand concert au Théâtre National Académique d’Opéra et de Ballet d’Arménie, intitulé « La musique nous rassemble ». Cet événement a été le deuxième plus grand événement étatique après le concert de Charles Aznavour de 2014.

J’avais traduit en français les célèbres chansons de compositeurs arméniens et j’avais souhaité les faire découvrir aux francophones du monde entier à travers la Francophonie. Mon idée a été saluée par le ministère de la Culture et le ministère arménien des Affaires étrangères, l’Ambassade de France en Arménie, et, grâce à leur soutien, tout un pays a accompagné le rêve d’une étudiante de vingt-deux ans. Dix ans se sont écoulés depuis ce jour, et je souhaite aujourd’hui recréer ce concert dans l’esprit du dialogue interculturel de la Francophonie, en France et dans plusieurs autres pays francophones. Cela pourrait être aussi en 2027 quand l’Arménie accueillera Les jeux de la Francophonie. Je vous confierai les détails plus tard.

 

M.A.- De 2014 à 2020, vous avez travaillé sur la chaine nationale H1 comme journaliste et animatrice, vous avez réalisé de nombreuses interviews en français, notamment pendant le sommet de la francophonie qui s’est tenu à Erevan en 2018, et plus particulièrement des interviews du Président français Emmanuel Macron, du Prince Albert II de Monaco, des présidents d’Estonie, du Sénégal et de Madagascar.
Le Ministre des Affaires Etrangères de la République d’Arménie vous a décerné un diplôme reconnaissant la meilleure couverture médiatique que vous avez faite de ce 17e sommet de la francophonie.
Qu’est-ce-que ce sommet de la Francophonie qui s’est tenu à Erevan a apporté à l’Arménie selon vous ?

H.A.- Ce qui est intéressant ici, c’est qu’ils ont tous parlé du pouvoir fédérateur de la langue française et ont cité dans ce contexte Charles Aznavour et ses chansons. Je suis extrêmement heureuse que, depuis 2022, l’« Institut Français », engagé dans la diffusion de la langue française et de la culture française dans le monde, ait ouvert ses portes en Arménie. Cela donne une opportunité unique non seulement d’augmenter le nombre de francophones dans notre pays, mais aussi d’assurer la diffusion de la culture française en Arménie. Et c’est avec une fierté que je dis toujours que c’était moi qui ai annoncé pour la première fois cette bonne nouvelle que l’Institut français va ouvrir ses portes en Arménie.

Ces dernières années, la publication des traductions en arménien des livres en langue française a augmenté. Et ici aussi j’ai ma petite contribution. J’avais mis en contact les éditions Newmag avec la communauté francophone en Arménie, avec l’Ambassade de France en Arménie ainsi qu’avec la fondation Aznavour. Et actuellement je me réjouis que l’Arménie a un salon du livre francophone dont je suis à l’origine.

 

M.A.- En six ans, l’éditeur « Newmeg » a traduit tout l’héritage littéraire de Charles Aznavour en arménien. Pour la plupart des ouvrages vous êtes la rédactrice, pour le reste vous êtes la relectrice, vous êtes une grande admiratrice de sa personne. Vous avez des dizaines de reportages et interviews sur Charles et sa famille.

H.A.- Oui, évidemment. Charles Aznavour est ma religion que j’ai adoptée quand j’avais 15 ans. Charles est présent à chaque tournant de route de ma vie. Je suis aussi la rédactrice du livre La vie selon Charles préparé par son fils Nicolas à l’occasion de son centenaire. Permettez-moi de dire qu’en Arménie il n’y a que deux personnes qui connaissent la vie de Charles parfaitement : le traducteur Samvel Gasparyan et moi, vu que nous avons travaillé sur tous ses livres autobiographiques, son recueil de nouvelles et celui de chansons contenant 500 poésies. Je connais le langage aznavourien, son style, son mode de vie et sa philosophie. Je vous livre un secret : j’ai commencé à rédiger un livre analytique littéraire sur les œuvres d’Aznavour. En Arménie, Charles Aznavour est d’abord aimé comme un grand humaniste, le peuple arménien est éternellement reconnaissant pour ses actions humanitaires après le tremblement de terre. Mais Aznavour est plus qu’un simple humaniste, toute sa vie personnelle et créative est une philosophie à explorer.

Je compare la lecture des livres d’Aznavour à des fouilles archéologiques, chaque fois que vous prenez un nouveau livre, vous en découvrez une nouvelle couche. Au cours des 94 années qu’il a vécues, c’est comme s’il en avait vécu le double. Quand je me demande quel a été son phénomène, une seule réponse me vient à l’esprit : un grand amour infini pour la vie.

Il ne faut pas oublier que la littérature française a joué également un grand rôle dans son œuvre. Charles Aznavour disait : « La bibliothèque est mon temple », et mes professeurs spirituels sont Molière, Baudelaire, Guitry, Dumas et Hugo.

M.A.- Vous avez même chanté en présence de Charles Aznavour et devant le Président François Hollande lors de sa visite en Arménie en 2014. Quelle histoire se cache-t-elle derrière cet épisode ?

H.A.- Peu de gens savent qu’il existe une deuxième chanson sur le poème de Louis Aragon dédié à Missak Manouchian, devenue la pièce inaugurale de la cantate La vie du poète, une œuvre de 40 minutes composée sur les poésies de Manouchian. J’ai eu l’honneur d’y apporter ma modeste contribution.

En mai 2014 lors de la visite officielle de François Hollande en Arménie, le jardin Machtots devrait être renommé en hommage au Héros National de France. À cette occasion, le Ministère de la Culture avait demandé au compositeur Robert Amirkhanyan, auteur de l’hymne de l’armée arménienne, de créer une chanson pour l’inauguration. Il m’a alors confié la tâche d’écrire un texte poétique. À l’époque, j’étais une étudiante francophone en Master de journalisme audiovisuel à l’Université d’État d’Erevan. C’est alors que j’ai découvert le poème de Louis Aragon, j’ai donné l’idée au maestro de créer sa nouvelle chanson sur les strophes d’Aragon. Je l’ai traduit en arménien de façon poétique. Ma traduction a tellement impressionné le maestro qu’il a composé une chanson classique de sept minutes. J’ai eu la chance d’assister à la création de cette œuvre, veillant à préserver les accents français. À la fin, à ma grande surprise, Robert Amirkhanyan m’a confié l’honneur de présenter cette chanson pour la première fois devant les présidents arménien et français, ils se sont promenés dans le jardin et ont communiqué avec le peuple arménien sous mon interprétation. A la fin, François Hollande m’a remercié d’avoir interprétée pour la première fois en Arménie l’Affiche rouge accompagnée du Cœur de chambre d’Arménie.

Ce jardin, aujourd’hui symbole des relations fortes entre l’Arménie et la France, incarne un message puissant d’amitié.

 

M.A.- Récemment, dans le cadre du festival « Francofest », a eu lieu la présentation du roman d’Agnès Martin-Lugand « Entre mes mains le bonheur se faufile ». C’était le second ouvrage de cette autrice que vous avez traduit, le premier étant le best-seller « Les gens heureux lisent et boivent du café ».

La traduction de livres est-elle devenue votre nouvelle passion ?

H.A.- L’activité de traduction est pour moi un véritable défi que j’ai tenté de relever avec enthousiasme en remplaçant temporairement ma plume de journaliste francophone par une casquette de traducteur.

La France est le pays qui a donné au monde l’épopée médiévale « La Chanson de Roland », Molière et Victor Hugo, Marcel Pagnol et Saint-Exupéry. Je peux citer encore d’autres grands noms, mais il s’avère que le Français d’aujourd’hui recherche également dans la littérature moderne des romans simples mais écrits dans le langage du cinéma, comme l’écriture d’Agnès Martin-Lugand, psychologue de profession. Elle est capable de créer des histoires humaines avec des personnages dans lesquels le lecteur d’aujourd’hui peut s’identifier et trouver le reflet de ses propres pensées, trouver son complice, son compagnon d’armes. Le roman « Entre mes mains le bonheur se faufile » rentre dans cette catégorie. Le rêve du personnage principal est la mode, elle a 31 ans et essaie de commencer une nouvelle vie en suivant son rêve. Le public auquel est destiné ce livre est avant tout un public de jeunes femmes auxquelles l’autrice montre indirectement qu’il ne faut pas devenir victimes de stéréotypes, mais qu’au contraire il faut exercer un métier qui donne des ailes et de l’inspiration, car un travail qu’on fait avec amour est un travail bien fait.

C’est la base du succès auquel j’adhère.

Propos recueillis par Monika Arakelyan-Chukurian

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