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Il est malaisé depuis Paris de juger avec précision les choix controversés de Nikol Pachinian en matière de politique étrangère. A-t-il raison de brûler les vaisseaux du pays avec la Russie qui demeure, en dépit de son affaiblissement, son plus important partenaire économique et la principale puissance non turque de la région ? Les gages qu’il offre ce faisant à l’Occident, ont-ils la moindre chance de déboucher sur une véritable alliance stratégique avec l’Europe et les États-Unis, capable de garantir sa sécurité ? Cette réorientation suffira-t-elle à contrebalancer, pour Mme Ursula Von der Leyen, les intérêts énergétiques représentés par Bakou, et pour le State Department le poids traditionnel de la Turquie, membre du G20, au sein de l’OTAN ?
Quoi qu’il en soit, l’Arménie, en tant qu’Etat encore indépendant et souverain, reste maître de sa diplomatie. Il revient à ses autorités démocratiquement élues de prendre les bonnes décisions, qui s’apparentent en l’occurrence à autant de paris sur l’avenir dont elles seront seules comptables devant l’Histoire et les premières à en subir les conséquences. Dans ce contexte particulièrement dangereux pour l’intégrité de la nation, voire même sa survie, Erevan a été conduit à faire une série de concessions à ses ennemis, « justifiées » en substance au nom du « réalisme » et des besoins inhérents à un « accord de paix ».
Quoi que l’on pense de la justesse de ces positionnements depuis la France -Etat européen qui garde dans sa conscience collective l’expérience de la collaboration et de la résistance -, une chose est sûre: ils sont dictés par une certaine vision de sa sécurité qui engage essentiellement le futur de l’Arménie. Il lui revient donc d’être la principale décisionnaire en ce domaine, (ce qui n’interdit pas le débat).
Il n’en va en revanche pas de même de sa politique à l’égard de la diaspora, laquelle est de facto et de surcroît concernée par les approches à son endroit, et donc légitime à s’interroger sur leur pertinence, même si elle a vocation à soutenir cette seconde patrie. La question étant de savoir, au moment où la parole de l’Arménie est largement conditionnée par les menaces qu’elle subit, jusqu’où la diaspora peut et doit confondre « solidarité » et « alignement », avec le risque, en ce qui concerne cette dernière option, de lourdes conséquences, et pas seulement pour elle.
Ainsi, alors que l’Arménie, encerclée pas des puissances prédatrices, agit sous la contrainte, avec un pistolet sur la tempe, quelle pertinence il y aurait-il pour la diaspora à arrimer aveuglément ses structures à un bateau en si mauvaise posture ?
Pourtant, suivant une logique à courte vue, les nouvelles autorités arméniennes s’essaient, plus radicalement encore que les précédentes, à prendre le contrôle des « communautés » vivant hors des frontières du pays, y compris les plus anciennes et les mieux organisées comme celles de France ou des États-unis. Ce qui n’est pas sans faire problème.
D’abord, parce que la diaspora n’a nul besoin d’être pilotée par l’Arménie pour la soutenir. Sa défense procède pour les descendants des rescapés du génocide de 1915 éparpillés dans le monde entier d’un quasi-réflexe, lié à leur histoire. Croire que ce sentiment devrait être régenté de l’extérieur serait leur faire injure. Pire, ce type d’immixtion porte en germe le risque de déformer le sens de l’appui à l’Arménie, en le réduisant à l’expression d’une influence externe, d’une instrumentalisation. Or, cette solidarité est d’autant plus justifiable et performante qu’elle tire sa force d’une mémoire collective, doublée d’un choix citoyen, libre et démocratique, et non de l’inféodation à l’on ne sait quelle ingérence étrangère.
Tout aussi graves, ces intrusions génèrent fatalement des tensions, des frictions, voire même des divisions contraires aux objectifs de cohésion proclamés. Elles encouragent également des pratiques malsaines de parachutage et de courtisaneries, sous-tendues par le besoin d’obtenir de « là-bas », une légitimité qui fait défaut ici. L’on ne s’étonnera dès lors pas que cette dérive touche en priorité les structures diasporiques les plus marginales, ou les individus les plus isolés.
Autant d’interférences qui ne font qu’affaiblir le camp des amis de l’Arménie au lieu de le renforcer. Ce qui est d’autant plus dommageable que le socle de valeurs porté par la diaspora, notamment à travers ses combats pour la vérité et la justice, outre leur caractère intangible, participe dans le monde de l’identité de l’Arménie et reste l’un des meilleurs leviers pour mobiliser autour d’elle.
Trait d’union entre l’Arménie et l’Universel, la problématique du génocide demeure en effet plus que jamais, à l’aube de son 110e anniversaire, un enjeu d’éthique global. Non seulement parce que ses causes, faute d’avoir été éradiquées, continuent à produire les mêmes effets. Comme on a pu le voir en Artsakh et comme le cas pourrait se présenter avec les Kurdes. Mais aussi en raison du fait que les conflits qui fragilisent la paix du monde exigent plus que jamais l’élévation des normes internationales en matière de prévention et de répression des crimes contre l’Humanité. D’où l’intérêt politique contemporain de faire vivre cette thématique.
Tout indique dans ce contexte que la diaspora se doit de rester fidèle à son histoire et à ses valeurs. Ce choix n’est ni exclusif d’autres initiatives, ni superfétatoire. Il demeure néanmoins la clé pour préserver sa cohésion, sa légitimité et continuer à défendre, avec force et indépendance, l’Arménie dans une planète aux équilibres de plus en plus précaires.
Ara Toranian
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