Arménie : la CEDH condamne l’absence de protection contre les discours de haine anti-LGBTQ+

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a rendu, mardi 7 janvier 2025, un arrêt condamnant l’Arménie pour violation des articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, relatifs au droit au respect de la vie privée et à l’interdiction des discriminations. Saisie par quatorze requérants, la juridiction a estimé que les autorités arméniennes n’avaient pas su les protéger face aux discours de haine dont ils ont été la cible en raison de leur soutien à la chanteuse autrichienne Conchita Wurst, lauréate de l’Eurovision en 2014.

L’affaire, défendue par l’European Human Rights Advocacy Centre (EHRAC) et l’ONG arménienne Pink Armenia, trouve son origine dans une série d’articles publiés par le journal conservateur Iravunk. Le premier, signé par le rédacteur en chef du média, paraît en mai 2014, peu après le concours Eurovision. En cause : les commentaires homophobes formulés par les membres du jury arménien, qui avaient déclaré avoir attribué les notes les plus basses à Conchita Wurst en raison du « dégoût » qu’elle leur inspirait, allant jusqu’à comparer son identité de genre à une « maladie mentale ».

Le journal Iravunk s’en prend alors à quatorze citoyens arméniens – militants des droits LGBTQ+ et des droits des femmes, journalistes et chercheurs – ayant exprimé leur indignation sur les réseaux sociaux. L’article les présente comme des membres d’un « lobby homosexuel international » visant à « réduire le taux de natalité et affaiblir l’armée ». Les noms des requérants, ainsi que des liens vers leurs profils Facebook, sont publiés, les désignant comme des « ennemis de la nation et de l’État ». L’auteur appelle les institutions publiques et privées à leur refuser toute possibilité d’emploi ou d’expression publique.

Face à l’ampleur de la diffamation, plusieurs victimes demandent au journal de retirer l’article. Non seulement Iravunk refuse, mais il publie un second article, réitérant les accusations et insultes. Une action en justice est alors engagée par les requérants, réclamant des dommages-intérêts et des excuses publiques. L’affaire ne prospère pas : en première instance, le tribunal de district estime que l’article relève de la liberté d’expression. Les tentatives d’appel à la Cour suprême s’avèrent infructueuses.

Pendant ce temps, le journal poursuit sa campagne de dénigrement. Six mois après la publication de l’article incriminé, le rédacteur en chef et le président du comité de rédaction d’Iravunk reçoivent une distinction honorifique des mains du président de la République et du président de l’Assemblée nationale.

Il aura fallu plus de dix ans pour que la CEDH reconnaisse les atteintes portées à la vie privée et à la dignité des requérants. L’arrêt rappelle l’obligation des États de lutter contre les discours de haine, particulièrement lorsqu’ils proviennent d’acteurs influents et exposent des individus à des menaces directes. L’Arménie est désormais sommée de se conformer à ses engagements internationaux et de garantir une protection effective contre de telles violations des droits fondamentaux.

L’arrêt
Les requérants se plaignaient que les articles du journal constituaient un harcèlement et un discours de haine et avaient interféré avec leur vie privée, et que l’État arménien n’avait pas assuré de protection contre ce harcèlement et ce discours de haine, en violation des articles 3 (interdiction de la torture et des mauvais traitements) et 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention. Ils ont également fait valoir que l’État n’avait pas reconnu les motifs discriminatoires de l’auteur et n’avait pas assuré une protection contre ceux-ci, notamment l’incitation à la discrimination au motif de l’activisme des requérants en faveur des LGBTI et de leur orientation sexuelle supposée, en violation de l’article 14 (l’interdiction de la discrimination).
La Cour européenne des droits de l’homme a estimé que l’Arménie avait violé l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) en liaison avec l’article 14 (interdiction de la discrimination). La Cour européenne des droits de l’homme a estimé que l’auteur de l’article avait attaqué les requérants en raison de leur soutien à la communauté LGBTI et avait expressément incité le public à commettre des actes discriminatoires à l’encontre des requérants, et que les tribunaux nationaux n’avaient pas protégé les requérants contre les discours prônant l’intolérance et les actes préjudiciables. La Cour européenne des droits de l’homme s’est en outre déclarée préoccupée par l’inefficacité du cadre juridique à protéger les requérants contre les discours de haine homophobe.
« C’est le deuxième arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme qui déclare que l’Arménie n’a pas assuré une protection efficace des personnes LGBTI contre les discours de haine. Deux ans et demi après le premier arrêt de ce type (Oganezova c. Arménie), l’État n’a apporté aucune preuve que l’article du code pénal relatif à la responsabilité en cas d’appel public à la violence est effectivement appliqué dans la pratique.
Nous notons également que dix ans après le début des travaux sur la loi anti-discrimination, le projet actuel ne comporte toujours pas de mécanismes efficaces pour protéger les personnes LGBTI.
Pink Armenia et l’EHRAC surveilleront la mise en œuvre de cet arrêt.
Hasmik Petrosyan, avocat, Pink Armenia
La Cour européenne des droits de l’homme a accordé aux requérants 2 000 euros chacun à titre de dommages-intérêts non pécuniaires.


Nos lecteurs ont lus aussi