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Un réfugié du Karabakh inquiété par la justice arménienne pour avoir dénoncé des comportements coupables de complaisance envers l’Azerbaïdjan
Suscitant une vague d’indignation, les autorités judiciaires ont inculpé et brièvement placé en détention ce weekend un réfugié du Karabakh, dont le tort aurait été de dénoncer et de diffuser une video montrant plusieurs étrangers se rassembler autour d’un chant azerbaïdjanais sur la place centrale de Erevan. Le tribunal de Erevan qui avait jugé cette affaire a finalement libéré Gharib Babayan, 70 ans, quelques heures après son arrestation qui avait donné lieu à des rassemblements spontanés en sa faveur dans les rues de la capitale arménienne et une vague de condamnations formulées par les leaders et militants de l’opposition arménienne, ainsi que par des personnalités publiques et des défenseurs des droits de l’homme.
La brève vidéo postée à la fin de la semaine dernière sur la page Facebook d’une organisation non-gouvernementale dirigée par Babayan montrait des ressortissants étrangers reprenant un chant azerbaïdjanais sur le Karabakh exaltant de toute évidence la reconquête par l’Azerbaïdjan de la région arménienne en 2023. Babayan n’avait pas caché sa colère face à ce spectacle dans ses commentaires accompagnant la vidéo qui a été partagée par de nombreux utilisateurs de Facebook et d’autres réseaux sociaux, désignant les dirigeants de l’Arménie comme des “ salauds corrompus”. “Imaginez ce qui serait arrivé à un tel groupe composé de jeunes Arméniens s’ils avaient chanté une chanson, même non-patriotique, en arménien à Bakou?” a écrit dans son commentaire Babayan en ajoutant : “Les salauds corrompus au pouvoir ont dégradé notre pays à tel point que des Azéris peuvent se pavaner en toute impunité et impudence dans le centre de Erevan”.
Le Service de sécurité nationale d’Arménie (NSS) avait fait savoir samedi que les personnes vues dans la video étaient de nationalité iranienne (et sans doute membres de l’importante minorité azérie concentrée au nord de l’Iran) qui visitaient le pays, comme tant d’autres de leurs compatriotes pour les fêtes du nouvel an. Le NSS avait précisé qu’il avait chargé une autre instance en charge de l’autorité, le Comité d’enquête, d’engager des poursuites judiciaires contre Babayan. Le Comité ne s’est pas fait prier pour arrêter et placer en détention le réfugié du Karabakh en l’accusant d’avoir “déformé l’essence” de la scandaleuse vidéo afin d’“inciter à la haine, à l’intolérance et à l’hostilité envers les autorités et les agents de police d’Arménie”. Il est allé jusqu’à demander au tribunal de première instance la permission de le maintenir en détention pendant la durée de l’enquête.
Les détracteurs du gouvernement arménien n’ont pas tardé eux non plus à réagir avec colère à cette nouvelle mesure visant un réfugié arménien du Karabakh, en soutenant que Babayan n’avait enfreint aucune loi et que le premier ministre Nikol Pachinian aurait ordonné les poursuites judiciaires en vue de dissuader la population de protester contre les nouvelles concessions qu’il prévoit de faire à l’Azerbaïdjan. Des centaines de personnes s’étaient ainsi rassemblées dans la soirée de samedi devant le tribunal de Erevan où se réunissaient les magistrats pour statuer sur la détention préventive de Babayan. Dans sa décision annoncée après minuit, la cour a refusé de cautionner l’arrestation en plaçant Babayan sous “ surveillance administrative ”, ce qui limite néanmoins considérablement sa liberté d’expression. Son avocat a rejeté avec force les accusations de “discours de haines” visant son client.
Zaruhi Hovannisian, une activiste de longue date des droits de l’homme, a elle aussi dénoncé les accusations, estimant que les autorités voulaient “réduire au silence” Babayan et créaient ainsi un dangereux précédent pour ce qui est d’étouffer la contestation dans le pays. Elle a insisté lundi sur le fait que les commentaires du réfugié du Karabakh sur Facebook “relevaient pleinement de la liberté de parole”. Vahagn Aleksanian, un vice-président du Parti Contrat civil au pouvoir, a pour sa part récusé toute motivation politique dans cette affaire. “Il s’agit d’un processus légal”, a déclaré Aleksanian au Service arménien de RFE/RL en ajoutant : “Laissons les avocats et les tribunaux s’en charger !”