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LAO, le roman du 1er mars, de Denis Donikian


Fraichement arrivé de Erevan, dans les conditions que nous évoquerons, voici le nouveau livre de Denis Donikian, LAO, un roman. Nous avons interrogé l’auteur à son domicile, interrompu par les caresses de son chat Fuki, un ragdoll de toute beauté et aimant les câlineries.

Nous : D’abord, pourquoi cette précision dans le signet qui accompagne le livre, le roman du 1er mars ? Cela laisse supposer qu’il n’y aurait pas eu d’autre roman écrit sur cette date tragique qui a fait 10 morts.

Lui : A ma connaissance, il n’y a pas eu de roman écrit sur cette nuit-là. Je fais remarquer que mon roman Vidures, en parlait déjà sous forme allégorique. D’ailleurs, Lao est dédié au dix personnes qui ont perdu la vie durant cette nuit. Je cite les noms de ces personnes et leur dédie le livre afin qu’ils ne tombent pas dans l’oubli. Ces événements du 1er mars ne sont d’ailleurs pas oubliés en Arménie. Le procès de Kotcharian en témoigne. En fait, outre le traumatisme que cela a créé au sein de la population, ce procès sonne le glas d’une politique d’impunité.

Nous : Étiez-vous à Erevan ce jour-là ?

Lui : J’avais participé comme observateur aux élections du 19 février. J’avais suivi les meetings de l’opposition et mesuré le sentiment de révolte qui y régnait. Et puis, ce premier mars, dans l’après-midi, j’étais là où s’étaient repliés les manifestants chassés à coups de matraque de la place de l’Opéra, à savoir devant l’ambassade de France considérée comme un symbole de liberté démocratique. Un bus était en travers de la route et empêchait toute circulation. Je me suis retrouvé coincé au milieu de la foule, à deux mètres de la police qui faisait corps en attendant les ordres. J’étais déjà rentré quand les choses ont dégénéré dans la soirée pour durer toute la nuit.

Nous : Quelle place occupe ces manifestations dans votre roman ?

Lui : C’est la toile de fond qui imprègne les personnages tellement ces événements ont marqué les esprits. De fait, le plus gros du roman se situe localement hors de Erevan, à savoir dans la plaine de l’Ararat. Mais à travers plusieurs personnages emblématiques, j’ai essayé d’étudier différents points de vue par rapport à ces événements. Pour autant ces personnages ne sont pas tous des stéréotypes figés. Lao va amorcer au cours de ce roman un virage radical, une telle prise de conscience que lui qui cherchait à fuir la capitale au début du livre, y retourne à la fin. Au lecteur de découvrir pourquoi. J’ajoute que tout le roman est déjà dans la citation liminaire. « Réveille-toi, mon fils ! » Lao étant un terme affectueux appliqué à son enfant.

Nous : Parlez-nous des personnages.

Lui : Lao est un protestataire plus ou moins convaincu, plus ou moins résigné. Mais devant la tournure des événements, la force de la répression, il décide de se faire oublier et prend un de ces vieux bus qui vont au sud. Il va en descendre inopinément dans la plaine de l’Ararat, trouve un hôtel et sympathise avec la taulière et son mari qui est photographe. Il y a aussi un policier gradé, Gabo, qui est chargé de filtrer les passages des voitures. Un pauvre hère qui vend des fleurs sauvages pour survivre est son souffre-douleur. L’intrigue va se nouer entre ces personnages dès lors que chacun soupçonne l’autre d’intentions particulières. Finalement Lao trahi par son ami qu’il croyait être du même bord que lui décide à la dernière minute d’affronter le réel au lieu de botter en touche en cherchant à se faire oublier.

Nous : Qu’en est-il de la facture du roman ?

Lui : Rien de révolutionnaire. Sinon que le récit est entrecoupé de textes qui sont des réflexions de Lao ou de l’auteur. Comme j’ai travaillé de concert avec mon éditeur habituel, Mkrtitch Matévossian, nous avons pu jouer sur l’alliance entre l’image et le texte. Ainsi, ces mots de Lao sont comme une voix off par rapport au récit, une voix d’homme ou de pleureuse qui s’inscrit sur un fond de paysage immobile, à savoir l’Ararat. Textes différents à chaque fois, mais image toujours la même. Je souhaitais de cette manière mettre en confrontation l’impermanence de l’histoire et la permanence des choses. D’ailleurs, je suis persuadé que les Arméniens voient le mont Ararat comme une image de leur éternité, sinon de l’éternité tout court. C’est à cette mission que répondent les hors-textes en question.

Nous : Matériellement dites-nous comment on fait pour publier un livre en bilingue en Arménie et pour qu’il se retrouve en France ?

Lui : Je tiens à préciser que pour Lao, comme pour mes autres livres en général, je paie un traducteur en moyenne 500 euros. La conception graphique coûte autant. Et l’impression aussi pour 100 exemplaires. Cela veut dire que la fabrication d’un livre bilingue s’élève à 1500 euros en moyenne et que je fais travailler trois personnes en Arménie. Ensuite reste le problème de l’acheminement. Il s’est trouvé cette fois qu’une amie arménienne de Suisse m’a proposé de ramener des exemplaires. Elle en a rempli 2 petites valises. Soit près de 33 kilos. Comme son mari a des affaires à Paris, il les a déposés à mon intention dans son hôtel. Quand je pense au dévouement de cette amie et de son mari, quand je pense à l’argent que je dois dépenser et au peu d’écho que mes livres rencontrent auprès des Arméniens de la diaspora, je me dis que certains ne sont pas à la hauteur des sacrifices qui ont été consentis pour qu’un livre sur l’Arménie voit le jour. Mais je continue quand même. En fait, ce qui me fait écrire et publier en Arménie, sur les Arméniens, c’est une indécrottable naïveté. Je suis un naïf. Je crois toujours que les Arméniens vont acheter mes livres parce qu’ils nourrissent encore une certaine curiosité envers le destin de leur peuple. Pour autant, je suis persuadé que ceux qui lisent mes livres s’enrichissent d’une manière ou d’une autre. Car le peuple arménien a toujours cultivé l’effort et le dévouement pour se maintenir en vie, même si ceux qui tiennent le rôle d’acteurs culturels au sein de notre diaspora ne jouent pas le jeu que voudrait leur fonction vis-à-vis de mes livres. Il y a des salauds partout.

https://denisdonikian.wordpress.com/2019/03/02/circonstanciel-lao-le-roman-du-1er-mars-2/?fbclid=IwAR3NnH-M6y2wX_s-TnlQGr4hZxqiOBxbmjW2XHr1oYkTjT9b-pLgzzD9ZVs

Lao, bilingue français-arménien, 97 pages.

En vente chez Denis Donikian,

4 rue du 8 mai 1945, 91130, RIS-ORANGIS

Ou

[email protected]

18 euros port compris.

par Stéphane le dimanche 3 mars 2019
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