H.TCHOBOYAN, S.SARKISSIAN, G.GUERGUERIAN Rubrique

L’appel de Hilda Tchoboyan, Sarkis Shahinian, Gérard Guerguerian


L’importance des événements vécus ces dernières semaines, le traumatisme qui secoue les communautés arméniennes nous incite à prendre position. Celle-ci nous paraît indispensable pour la clarté du débat, tant sur la portée du document signé le 10 novembre, que sur la gravité de la situation.

• La guerre de 45 jours s’est terminée par une défaite cuisante pour les Arméniens. Elle est de l’ordre d’un séisme national, dont les effets se feront sentir longtemps.
• On nous a menti grossièrement. La défaite nous a pris par surprise. Les informations distillées quotidiennement par le centre unifié du ministère arménien de la Défense répétaient à longueur de journée que l’ennemi était contenu, subissait des pertes, et ne pouvait vaincre. La réalité était tout le contraire.
• Le document signé le 10 novembre 2020 équivaut à une capitulation, humiliante pour les Arméniens. Il ne s’agit pas d’un simple document de cessez-le-feu, mais d’un traité international, signé entre deux États et donnant à un troisième État, la Russie, le rôle d’État tiers prévu par l’art. 2 al. 1, h, de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités.
• Le traité du 10 Novembre 2020, s’il est ratifié, mettra fin à toute légitimité à la revendication arménienne sur les territoires entourant le Nagorny Karabakh. Il réduira la configuration territoriale de l’ancienne Région Autonome du Nagorny Karabakh « NKR » (« Oblast » selon la terminologie Russe) à une portion congrue, amputée de localités importantes - Chouchi et Hadrout - historiquement et juridiquement arméniennes sous le régime soviétique.
• L’absence de mention d’un statut pour le NKR crée une incertitude quand à son avenir, à moyen/long terme. En l’absence de statut défini, le Nagorny Karabakh est au mieux, une enclave non définie – au sein de l’Azerbaïdjan - sous protection russe pour une durée de 5 ans. Cette protection est susceptible d’être remise en cause selon le bon vouloir de l’Azerbaïdjan.
• En clair, un retrait de la force d’interposition, entérinera l’inclusion de l’enclave sous souveraineté de l’Azerbaïdjan, ce dernier étant habilité – seul – à décider du retrait russe.
• Ce même traité prévoit – sans qu’elle ait été agressée – une renonciation par la République d’Arménie à une partie de sa souveraineté territoriale, par la création d’une servitude internationale de passage sous forme d’une route reliant l’enclave du Nakhitchevan à l’Azerbaïdjan, au sud de l’Arménie. Faisant partie du dispositif du traité, la servitude crée un droit de nature territoriale au profit de l’Azerbaïdjan. La remise en cause du dispositif, si le traité est ratifié, vaudra violation susceptible d’entraîner la responsabilité internationale de l’Arménie vis-à-vis de l’Azerbaïdjan.

• Quant aux perspectives d’avenir :

• Elles sont sombres. Il faut s’attendre à une relance de l’émigration de la population, touchée par une crise économique sans précédent – liée à la pandémie et à l’effort de la guerre – qui produit et qui continuera à produire ses effets pour les prochaines années. Corrélativement, il n‘est pas illusoire de penser qu’une bonne partie de la diaspora s’éloignera de la mère patrie, par rejet de la reddition ou pour dénoncer l’incompétence et la corruption des dirigeants politiques qui serait la cause d’une impréparation à la guerre.

Le maintien en nombre de la population arménienne au sein du Nagorny Karabakh, qu’il s’agisse de réfugiés déplacés en Arménie, ou des résidents forcés à quitter les territoires remis à l’Azerbaïdjan, sera difficilement envisageable. Le sentiment d’insécurité, l’absence d’armement lourd, d’un statut reconnu, de garanties internationales, avec une capitale – Stepanakert – dominée par le promontoire de Chouchi sous contrôle Azéri, ne permettra pas de fixer la population. La présence de mercenaires arabes ou turcophones dans la contrée n’aidera pas.

La solution d’une coexistence pacifique entre Arméniens et Azéris, compte tenu du passé, et des exactions commises - décapitations, exécutions sommaires, mutilation des corps - est devenue irréaliste.

La servitude internationale que l’Arménie a consentie sur son propre territoire au Sud sera potentiellement une source de clivage entre Arméniens. La ratification plausible du traité va créer les conditions d’un renforcement de l’opposition, voire de fractures au sein de la Nation.

Pour conjurer le sort et compte tenu de la gravité des décisions qui devront être prises ajoutée à l’ampleur des difficultés qui se profilent, il nous paraît indispensable :

• De recréer les conditions d’un consensus national. L’actuel est pulvérisé. Celui-ci passe – nécessairement – par une nouvelle légitimation de l’équipe dirigeante. Des élections législatives sont de ce fait incontournables.

• Qu’une majorité soit formée autour d’une plateforme d’Union Nationale, seule réponse rationnelle possible à une crise importante et seule réponse possible pour faire entériner - si les circonstances ne permettent pas de faire autrement - les conditions douloureuses de la capitulation actée ou de les refuser par consensus national. Et ce, quelles que soient les raisons ou les responsabilités dans la défaite.

• Qu’il faut se garder de démarches illusoires. Sans l’accord de l’Azerbaïdjan, le traité – sur ses principes - n’est pas négociable, il est signé. Il est déjà pour une bonne partie exécutée. C’est un acte international. Par conséquent, sa ratification, sa renégociation – si elle est rendue possible - ou son rejet, relève de la seule autorité d’une nouvelle représentation nationale redevenue légitime.

• Que le retour de la confiance doit être au cœur des préoccupations. Les conditions de ce retour, passent par un effort prioritaire de reconstruction et d’investissements majeurs au Nagorny Karabakh - au-delà de l’aide humanitaire - afin de transmettre un message d’espoir et de solidarité à la population locale.

• Que l’axe politique avec la Russie doit être favorisé dans l’immédiat, seule garante régionale de la préservation d’un équilibre ethnique. L’ouverture vers l’Europe, en particulier vers la France, seul pays européen capable, en l’état, de creuser un sillon diplomatique international bénéfique aux Arméniens, doit être encouragée.

• Que l’effort d’investissements massifs à initier doit prioritairement cibler l’emploi et les technologies les plus avancées, qu’il s’agisse du domaine civil ou militaire.

• Que toute solution de paix sur le plan régional ne peut être pérenne que si les aspirations et intérêts historiques des Arméniens du Nagorny Karabakh sont préservés et actés.

Hilda Tchoboian Sarkis Shahinian Gérard Guerguerian

Décembre 2020
(les auteurs de cette synthèse s’expriment à titre personnel)

par La rédaction le lundi 7 décembre 2020
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