Marie Anne Isler Beguin Rubrique

Caucase : La solution européenne Le point de vue de Marie Anne Isler Beguin


L’admission de la république d’Arménie dans le cénacle du Conseil de l’Europe, le 8 novembre 2000, doit être interprétée comme une nouvelle étape dans le rapprochement politique entre les deux parties. A la tribune de cette institution européenne, la voix de l’Arménie peut désormais faire porter ses contraintes actuelles auxquelles elle doit faire face, autant que les défis qu’à l’avenir cette république - aux confins de l’Europe telle qu’institutionnellement dessinée aujourd‘hui - devra relever en son sein et autour d’elle pour recouvrer, après 70 ans de dilution dans l’espace soviétique, la place, le poids et les droits que son histoire et sa culture ont légués sur le continent européen.
Tribune d’expression, mais aussi forum de discussions et de négociations. Car il n’est de région plus démonstrative des interactions que nouent et tirent les entités frontalières entre elles que cette plaque du Sud-Caucase, aussi limitée géographiquement que stratégique énergétiquement et militairement pour toute la stabilité du continent eurasien. Souvent perçus sous des angles belliqueux, les rapports entre ces trois républiques caucasiennes, ainsi que manifestés par leurs admissions successives dans le cercle du Conseil de l’Europe,
devront s’inscrire désormais et durablement sous le sceau d’une interdépendance consciente et acceptée, d’une politique de négociations et de compromis cultivée, pour des enjeux et des intérêts communs dont toutes trois ont à profiter. Et il ne pourrait être encore à ce titre meilleur exemple que le domaine de l’environnement, dont les atteintes ou les préjudices commis dans un pays ne peuvent désormais, dans la manifestation de leurs conséquences et retombées, épargner les voisins, directs ou éloignés, comme la pollution de l’air, les perturbations climatiques, les déchets nucléaires ou encore les constructions de barrages.
Creuset de civilisations, carrefour de transit en tous genres, et interface des influences et des jeux de grandes puissances rivalisant dans son environnement : une telle configuration ne pouvait qu’attiser et accumuler les tensions en son endroit. Comme antichambre admise de l’Union européenne, le Conseil de l’Europe aura à sa charge et en sa notoriété d’aplanir et de dénouer maintes de ces situations sclérosant le développement de cette région. Ainsi en est-il du douloureux autant qu’inextinguible conflit d’appartenance et d’identité du plateau du Haut-Karabakh. A quelles images ce nom renvoie-t-il dans la mémoire des citoyens européens, sinon celles de champs couverts de morts, de cohortes de civils réfugiés, et de haines durablement campées autour de ses cimetières, conséquence tragiquement directe d’une interprétation de l’histoire régionale susceptible d’être manichéennement enseignée de part et d’autres des frontières de ce plateau montagneux...? A quelles perspectives, à quelle prétention européenne peut alors s’accrocher le destin de ce Haut-Karabagh, de sa population, et de celles arménienne et azérie qui ont toutes les trois parties liées, si une conscience - et une confiance - communes n’émergent enfin pour faire des haines passées table rase et construire des projets d’avenir commun, profitables à toutes les communautés ? Camper dans ses bottes militaires a amené tout le Sud-Caucase à s’enliser et à s’enfoncer toujours plus...Comme députée européenne, ardente militante des résolutions pacifistes, l’abîme du Haut-Karabagh symbolise l’immaturité et l’impéritie d’une Union européenne encore loin de s’être accomplie politiquement et diplomatiquement. En tant que française, force est d’avouer que la Présidence française de l’U.E a singulièrement montré sa vanitésur ce dossier et dans cette région. Mais de meilleurs lauriers doivent être attribués à l’action de la présidence suivante, celle suédoise, qui a su s’impliquer et prendre en considération cette région, si en crise actuellement pour ses populations, mais si forte culturellement et stratégiquement pour notre Europe de demain. Formons le voeu qu’un même esprit anime la Présidence belge qui commence, ce à quoi je veux croire personnellement, devant le caractère très européen des citoyens belges, et devant les ambitions avant-gardistes portées par leur gouvernement. Enfin, en tant que Lorraine, native et élue de cette région, me reste toujours à l’esprit l’exemple de ces deux frères ennemis héréditairement, puisque voisins géographiquement, l’Alle-magne et la France, si fracassés et anéantiés lors des règlements belliqueux d’antan, et si libres et prospères aujourd’hui à l’époque des coopérations et des solidarités fraternelles...
Mais l’Union européenne, comme institution avouée à laquelle l’un de ses grands et influents voisins, la Turquie, prétend, doit désormais mettre en œuvre pleinement et fermement l’influence sinon l’autorité que lui a conféré, dès l’acceptation de sa candidature au Sommet d’Helsinki en décembre 1999, ce statut de finalité de l’action gouvernementale d’Ankara. La volonté et l’orientation des autorités turques sont exprimées, la charte d’entrée aux portes de l’U.E est affichée. Si « Helsinki » a validé la candidature de la Turquie, « Copenhague » en avait préalablement et pour tous candidats, établi les clauses et conditions : économie de marché, système démocratique institué, respects des Droits de l’Homme et des minorités. Si une certaine crédibilité peut désormais s’affirmer sur ce premier standard économique, seule une hypocrisie aux intérêts économiques ou stratégiques bien compris ferait dire qu’il en relève de même pour les deux suivantes, au niveau politique et dans la réalité en pratique... Et en renforçant ces légitimes - car salutaires pour le long terme et pour tout le continent - exigences de normalisation politique au sein de l’Etat candidat, par une nécessaire pacification et normalisation de ses frontières, en les resituant dans le contexte géographique du Sud-Caucase, la question du dévastateur embargo maintenu par les autorités turques sur son voisin arménien se tend comme une ligne de force et de principe sur laquelle l’Union ne doit pas défaillir. Et le groupe des Verts y veille, qui maintient rigidement la tension de cette clause de rigueur entre les murs du Parlement européen. Déclaration affirmée autant que position bien campée de notre Groupe qui ont fait leur preuve, puisque désormais fait écho à cette condition sine qua non une majorité de voix d’europarlementaires. Preuve que l’argumenta-tion et la discussion peuvent l’emporter plus sûrement que les armes. Preuve encore que l’Europe politique est en perpétuelle construction, que les instruments et outils sont sous notre main, pourvu que le courage soit donné à chacun d’entre nous de les saisir et de participer à ce projet pour notre futur communauté.

par le dimanche 1er juillet 2001
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Marie Anne Isler Beguin est députée européenne Verte.