Richard Cazenave Rubrique

La reconnaissance du génocide arménien comme condition à l’adhésion à l’Union européenne ? Le point de vue de Richard Cazenave,


« Si notre vote est politique, c’est aussi parce qu’il est un vote sur l’avenir, et d’abord sur celui de l’Europe, qui ne se fera pas dans l’ambiguïté. Cet avenir ne peut s’épanouir, et tel est aujourd’hui notre message, que dans le respect des droits de l’homme, de la vérité historique et des Etats voisins. La formidable aventure de l’Europe doit se fonder sur la paix et sur ces valeurs universelles, et la France est à l’œuvre pour qu’elle reste animée par cette foi. Notre vote est ainsi un vote pour l’avenir et pour la démocratie dans tous les pays ».
Richard CAZENAVE, explication de vote de la proposition de loi relative à la reconnaissance du génocide arménien,
Assemblée Nationale, 18 janvier 2001

Le Conseil européen d’Helsinki de décembre 1999 a officiellement désigné la Turquie comme pays candidat pour rejoindre l’Union européenne sur la base des mêmes critères que ceux appliqués aux autres pays candidats.
La construction d’un espace européen cohérent et organisé repose sur les principes fondateurs, posés dès 1957 et sans cesse réaffirmés depuis, de Démocratie, de Liberté, de Droits de l’Homme et d’Etat de Droit.
Par ailleurs, la question des limites de cet espace n’a jamais été posée clairement. S’agit-il de « l’Europe de l’Atlantique à l’Oural », ou s’agit-il d’une « maison commune » de nations partageant des valeurs au-delà de la stricte question géographique ?
De ces deux points de vue, l’adhésion de la Turquie fait débat.

Respect des principes fondateurs

L’adhésion à l’Union européenne impose notamment le respect des principes fondateurs de l’Union et l’intégration de l’acquis juridique communautaire, c’est-à-dire l’ensemble des principes, règles et objectifs qui fondent l’Union.
Or le vote du Parlement européen intervenu dès 1987, reconnaissant le génocide arménien, fait partie de l’acquis juridique communautaire.
Mais aussi, la politique de négationnisme, qui mobilise jusque et y compris les enseignants et leurs élèves, contrevient aux principes fondateurs de liberté d’opinion et d’expression qui font partie du socle juridique européen. La manipulation de la vérité historique dans l’enseignement est aussi contraire aux normes européennes.
Il faut également se souvenir que la construction européenne a comme point de départ la volonté de nations de construire un futur harmonieux, pacifié et commun après des siècles de guerres et de déchirements. Cela n’a pu être possible que parce que chacun avait de son Histoire une vision juste, objective et réfléchie.
Vouloir intégrer cet espace sans ce travail de mémoire et de réflexion revient à nier la dimension politique de l’Union européenne au seul bénéfice de la dimension économique et, au final, est incompatible, à mon sens et au sens juridique, avec l’Europe dans son essence même, un espace politique cohérent au service du développement économique.
La Turquie doit donc se mettre en paix avec son Histoire et sa conscience et reconnaître le Génocide de 1915 qui ne met nullement en cause la Turquie moderne. La France n’a-t-elle pas fait acte de contrition pour les dérives du régime de Vichy.

Les limites de l’Europe politique

Enfin, les difficultés que connaît la Conférence Intergouvernementale pour définir les modalités du travail à 25, montrent bien les limites politiques et « physiques » de l’extension de l’Union européenne.
Celle-ci n’a d’ailleurs pas vocation à s’étendre sans limites, sans frontières et finalement sans identité. Elle est la volonté de Paix, de Démocratie et de respect des Droits de l’Homme d’un espace politique et géographique limité précisément par son Histoire et sa Géographie. Néanmoins, l’Europe ne peut et ne doit négliger ses voisins immédiats. Car, si l’Europe est un facteur de développement économique et de progrès, l’adhésion n’est pas le seul instrument disponible pour y parvenir. Les traités d’association, la définition de politiques de coopération mutuelle répondent aussi à cet objectif. D’autres statuts encore peuvent être trouvés auxquels aspirent tout aussi légitimement les pays de la rive sud de la méditerranée.
Je sais que toutes ces questions sont en débat. J’ignore si aujourd’hui l’opinion que je livre ici est majoritaire en Europe.
Je crois cependant qu’elle est fondée sur les principes juridiques et politiques assez forts pour être incontournables.

par le samedi 1er novembre 2003
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Richard Cazenave est député de l’Isère et rapporteur du Budget des Affaires étrangères.