Christophe Masse Rubrique

Le sens du 4 mai Le point de vue de Christophe Masse, Conseiller général PS (canton de Marseille-Les Olives), paru dans le numéro 174 des Nouvelles d’Arménie Magazine


Le mercredi 4 mai 2011, sur proposition du groupe socialiste, le Sénat examinera la loi sanctionnant la négation du génocide des Arméniens votée le 12 octobre 2006 par l’Assemblée nationale. Il aura fallu près de cinq années pour que la Haute Assemblée mette fin au blocage de cette loi et renoue enfin avec l’esprit des Institutions de la Ve République. Il faut espérer que les sénateurs retrouvent à cette occasion l’élan transpolitique qui a permis de porter ce texte au Palais Bourbon. En effet, lorsque le CCAF Marseille-Provence, présidé alors par Pascal Chamassian, a demandé aux élus des Bouches-du-Rhône de la présenter à l’Assemblée nationale, cette loi a fédéré, dès le départ, en décembre 2005, les principales formations politiques, le PS, le PC et l’UMP, dans le cadre de ce que l’on a appelé depuis « L’Appel des Cinq », signé à la fois par un sénateur communiste, Robert Bret, deux députés UMP, Roland Blum et Richard Mallié, un sénateur socialiste, Jean-François Picheral, et moi-même, qui d’un commun accord fus le rapporteur de cette loi et obtins du Parti socialiste, avec l’appui de François Hollande et de Jean-Noël Guérini, d’y consacrer une de ses niches parlementaires.

Une telle unanimité a été possible parce que ce texte touchait d’abord une valeur essentielle de la République, celle du respect dû à la mémoire et à la dignité des citoyens français, à l’heure où cette mémoire et cette dignité étaient quotidiennement bafouées par le négationnisme organisé sur le sol français par un État étranger. En votant ce texte, il s’agissait pour les députés de montrer, d’une part, leur volonté de protéger leurs citoyens, d’autre part de refuser les ingérences d’une puissance étrangère dans leur espace politique. Le 12 octobre 2006, les députés ont montré l’attachement de la France à ces valeurs. Le 4 mai 2011, il s’agira pour le Sénat de les confirmer aux yeux des Français.

Cette démonstration est d’autant plus impérative et urgente que le pouvoir en place a joué, il faut le dire, un jeu d’une regrettable duplicité qui a terni l’idée que les Français se font de la politique. Alors que le chef de l’État avait publiquement promis un soutien du gouvernement à cette loi, les dépêches WikiLeaks nous apprenaient qu’en réalité, peu après sa promesse, l’Élysée s’était engagé auprès de l’État turc à « enterrer cette loi » pour des raisons, on le devine, industrielles et commerciales. C’était assez dire à la Turquie que le Législatif français était désormais à sa botte. Le débat du 4 mai devra démentir cette affirmation et rétablir par son vote la confiance des citoyens dans l’indépendance de jugement de notre Parlement. En inscrivant cette loi dans sa niche parlementaire du 4 mai, le Parti socialiste a apporté la démonstration de sa liberté de légiférer. En la votant, le groupe socialiste et les autres formations affirmeront, comme le fit l’Assemblée nationale, que si certains gouvernements sont soumis aux intérêts du commerce et de l’industrie, les élus de la République ne sont, eux, que soumis aux intérêts de notre indépendance et de nos citoyens.

Lorsque j’ai présenté cette loi à l’Assemblée nationale, je l’ai fait avec émotion et fierté. Émotion, car en présentant ce texte, j’avais le sentiment profond de rendre justice à une partie de nos concitoyens, les Français d’origine arménienne, victimes d’une double injustice, celle d’un atroce génocide toujours présent dans les mémoires, et celle d’un négationnisme sournois et organisé par l’État qui l’a commis, sur le sol même où ses victimes étaient venues chercher protection. Fierté, parce que l’élu du Peuple français que j’étais apportait une pierre supplémentaire à l’édifice législatif qui a fait de la France le symbole de l’État de Droit.
Je suis certain que ceux de mes amis politiques qui porteront cette loi au Sénat comme je l’ai fait à l’Assemblée nationale, et ceux qui la voteront, auront ce même sentiment de répondre à notre besoin de justice et de compléter l’œuvre législative qu’on leur a confiée.

Bien sûr, les détracteurs de cette loi avanceront qu’elle risque de porter tort aux relations franco-turques dans un contexte moyen-oriental en ébullition. Mais elle aura aussi la vertu de conforter la position de ceux qui, en Turquie même, se battent pour la vérité de leur histoire et soutiennent, souvent au prix de leur liberté, sinon de leur vie, que la négation du génocide arménien est d’abord et, avant tout, la négation de la démocratie. Mon souhait pour le 4 mai est qu’en parachevant le travail entrepris à l’Assemblée nationale, le Sénat français, toutes formations confondues, retrouve sur cette loi l’unanimité qui a présidé à sa naissance à Marseille, unanimité qui reflète d’abord que le refus de la négation d’un génocide reconnu par la France transcende les parties parce qu’il relève de valeurs universelles. Personnellement je suis certain que les élus du Peuple français, particulièrement ceux de ma formation, sauront être à la hauteur de la mission que notre Histoire, nos Valeurs, et nos Concitoyens leur ont confiée.

par le mercredi 1er juin 2011
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