Jacques Panossian Rubrique

MALENTENDUS SUR L’EGLISE APOSTOLIQUE ARMENIENNE


Monseigneur Norvan Zakarian souhaitait un débat élargi qu’il a initié par son article “Au-delà de la tourmente“ NAM n°63, mai 2010. J’avais donc rédigé une réplique sur les “définitions de l’institution ecclésiale et du diocèse, ...de la paroisse et de l’association paroissiale ... à l’origine de malentendus“ ; bien que les circonstances n’aient pas permis que ma contribution voit le jour avant la nouvelle escalade de la tourmente niçoise, je la livre à peu près telle quelle car Il m’a paru qu’elle demeurait pertinente, l’analyse de l’actualité relevant d’ une autre approche.

Sur le texte de l’article, je me contenterai de faire deux observations. La première est relative à l’expression “institution ecclésiale“ derrière laquelle se glisse bientôt “hiérarchie ecclésiale“. C’est en s’abritant derrière l’ambiguïté introduite par l’emploi de cette terminologie peu familière qu’est instruit le procès d’intention fait systématiquement aux responsables des associations cultuelles. La seconde concerne la péroraison finale avec menace d’exclusion : manière peu chrétienne de résoudre les “malentendus “ - tel le refus obstiné de reconnaître que certaines des exigences cléricales récentes conduiraient à des conséquences néfastes dans ce pays.

Venons-en au fond et d’abord, succinctement, dessinons le cadre que la loi fixe pour les associations en France :

1- Les associations peuvent se former librement sans autorisation ni déclaration
2- Pour avoir la capacité juridique (compte en banque, bien immobilier...) l’association doit être publique : (1)déclaration à la Préfecture par ses fondateurs, (2)insertion au Journal Officiel (Loi 1901)
3- L’association régulièrement déclarée peut ester en justice, recevoir des dons, acquérir et posséder
4- Une catégorie spéciale de ces associations régulièrement déclarées est celle des “associations cultuelles“ : elles ont pour but de subvenir aux frais, à l’entretien et à l’exercice public du culte. Elles ont exclusivement pour objet l’exercice du culte (pour nous, celui de l’Eglise Apostolique Arménienne EAA). La gestion et l’administration doivent être approuvées, chaque année au moins, par l’Assemblée Générale des membres de l’association (Loi 1905)
5- Sous réserve du respect strict de certaines conditions (en premier lieu la gestion désintéressée), les associations cultuelles peuvent bénéficier d’exonérations fiscales (Code Général des Impôts), en particulier sur les dons et legs, sous contrôle de la Préfecture et de l’administration fiscale
6- Les associations cultuelles peuvent constituer des unions qui elles-mêmes ont aussi le statut d’association cultuelle.

C’est une union de ce type qui a été constituée en 2006 par les 18 associations alors existantes : elle a pris la dénomination de “Diocèse de l’Eglise Apostolique Arménienne de France“ et a été confirmée comme tel par SS Karékine II Catholicos de Tous les Arméniens. Cette union, par vote de l’Assemblée des Délégués représentant les associations-membres, a élu son organe de direction, le Conseil Diocésain, et le Primat Monseigneur Norvan Zakarian qui assure la direction spirituelle du Diocèse, tous deux ayant été confirmés par SS Karékine II.

A présent, précisons ce qu’est l’Eglise Apostolique Arménienne de France (EAAF) : elle est formée de l’ensemble des “fidèles“, personnes qui ont reçu les sacrements (baptême et confirmation) selon le rite arménien et qui sont citoyens de la République Française ou résidents en France. Son Chef religieux est le Primat du Diocèse. Au niveau local la Paroisse est la collectivité de fidèles qui pratiquent le culte de l’EAA, le Prêtre assure le service du culte et est guide spirituel des paroissiens ; pour subvenir aux frais, à l’entretien et à l’exercice public du culte, des fidèles vont adhérer volontairement à l’association cultuelle paroissiale répondant aux dispositions légales signalées plus haut, avec son Assemblée Générale et son Conseil d’Administration élu.

- L’EAAF comporte donc une hiérarchie ecclésiastique : les prêtres desservant les paroisses sont sous l’autorité du Primat
- Le domaine de compétence des ecclésiastiques est religieux, spirituel : accomplissement des rites et de la liturgie, délivrance des sacrements, enseignement de l’évangile
- Le domaine de compétence de l’association cultuelle et de ses dirigeants élus est temporel : exercice public du culte, subvenir aux frais, gestion des biens
- La mission commune des ecclésiastiques et des responsables laïcs élus est d’être au service de la communauté des fidèles.

Dans l’histoire de notre Eglise, la répartition des domaines de compétence ci-dessus entre clergé et laïcs élus (d’ailleurs très largement majoritaires dans les assemblées diocésaines), leur mission commune au service des fidèles sont des caractères essentiels selon l’ouvrage de référence de l’archevêque très respecté Maghakia Ormanian : “L’Eglise Arménienne“ (1910, Paris), en particulier son chapitre XXXII. Ce mode de fonctionnement a été appliqué avec des adaptations locales dans les communautés de la Diaspora formées par les rescapés du Génocide qui ont construit leurs églises, défini leurs organisations tout en demeurant inébranlables dans leur fidélité à l’Eglise arménienne. Cette tradition a été maintenue en France avec des ajustements limités pour se conformer à la législation.

Le problème qui est posé aujourd’hui, hors heurts entre tempéraments différents, n’est pas que les laïcs “chercheraient à s’attribuer des prérogatives“. Il réside dans la volonté cléricale rigide d’imposer, dans le détail du mot à mot, des articles des statuts et des règles d’organisation d’association identiques sur les cinq continents - alors qu’il n’existe ni association ni même paroisse véritable en Arménie ; de soumettre les fidèles et leurs associations à l’autorité temporelle des ecclésiastiques - qui donc disait : “mon royaume n’est pas de ce monde “ ? Tout cela sous prétexte du respect d’un droit canonique inconnu, d’un parallèle avec l’Eglise Catholique insoutenable, d’une légitimité institutionnelle de dix-sept siècles dans un autre monde anéanti par le génocide. Ce ne sont certainement pas les exclusions ni le dénigrement des responsables laïcs qui auront pour effet de remplir les églises.

Je demandais il y a un mois si les plus hauts dirigeants de l’Eglise arménienne avaient pris la mesure des défis auxquels elle doit faire face. La réponse, à l’évidence, est : non - mais ne tournons pas le dos à l’espérance : pas encore...

Jacques Panossian

Ancien membre du Conseil Diocésain

par le vendredi 4 juin 2010
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