Liliane Daronian Rubrique

« De la loi comme analyseur jusqu’aux réparations »


Le Conseil constitutionnel en a décidé le 28 février 2012. La bataille contre la négation des génocides déclenchée par le Président Nicolas Sarkozy et menée en territoire français a été perdue, elle l’a été par les Arméniens du monde entier : mondialisation du sentiment d’une défaite ...

La Turquie elle-même, celle des véritables démocrates a aussi perdu cette bataille qui est la même que celle menée par les siens au fin fond des prisons où ils croupissent par centaines.

La France le sait-elle ? Mais elle aussi a perdu la bataille, celle de ses idéaux, celle de ses promesses, celle des valeurs universelles. Elle a perdu ce qu’elle a reçu de ses parents, ce qu’elle doit à ses enfants. Et à travers la France, le monde qui la regardait à lui aussi perdu sur ce champ de bataille - oui mondialisé - qui est celui de la dignité humaine.

Mais ceux qui ont ressenti le plus douloureusement cette défaite sont les Arméniens. La poussière des os des martyrs de 1915, morts sans sépulture, dont ils se sentent les gardiens, s’est de nouveau levée. Et ils n’ont pas pu obtenir pour eux la sépulture de la justice. Ils n’ont pas pu non plus les protéger des silences entendus ou des paroles chargées de fiel. Ils n’ont pas pu empêcher qu’ils deviennent objets d’indifférence ou de pitié, de violence réitérée. De la « pitié dangereuse » au retour de « boomrang », le prestigieux Robert Badinter a sonné l’hallali en véritable chef de meute, traçant la voie avec acharnement. Le docteur honoris causa de l’université de Galatasaray, à Istanbul, a pu tester sa puissance auprès d’une opinion publique d’une révérence sans faille à son égard.

Les débats autour de la loi sur la pénalisation de la négation des génocides ont joué tel un analyseur, un révélateur. On y a beaucoup appris. Ainsi, tel dans un mauvais film de science fiction, l’on a vu une toute petite poignée d’hommes façonner l’opinion publique en France, à un point inimaginable. Ces hommes ont oeuvré, en manipulant et en dévoyant des valeurs aussi nobles que la liberté d’expression, celle de la libre recherche historique, celle du rejet des procédés électoralistes, celle de la prééminence du dialogue, celle de la défense sourcilleuse de la constitution... Et ce faisant, ils ont brandi le bien pour faire place au mal. Cet usage extraordinaire du dévoiement leur a été soufflé par des maîtres en la matière, plus exercés encore dans la manipulation, le mensonge, en l’espèce par ceux qui dirigent la Turquie actuelle, par ces héritiers du ventre sombre de l’Empire ottoman.

Ceux-là même qui soufflent dans l’oreille de ceux qui font l’opinion, sont venus se blottir tout contre eux, ils se sont implantés en France dans maintes officines tel l’Institut du Bosphore s’alliant les bonnes grâces de personnalités de tout bord. Il serait temps d’ailleurs pour ceux parmi ces personnalités qui ont été abusés de quitter le navire, au risque d’entacher les formations qu’ils représentent et de s’embourber dans des conflits d’intérêt inextricables (structures étatiques, partis politiques, médias, entreprises, institutions académiques, etc.).

Cette bataille a été perdue à l’heure où la Turquie ouvre une page nouvelle de son histoire en s’adonnant sans plus de retenue à ses pulsions ottomanistes et pantouraniennes jamais vraiment éteintes. Après avoir menacé la France de représailles si jamais la loi était votée, elle envoie au front son clône turcophone, l’Azerbaïdjan, pour donner à la fois plus de force et une étendue géographique plus grande à ses menaces, jusqu’au Karabakh, jusqu’en Arménie. Car brandir la menace, jusque dans ses formes les plus extrêmes, est la marque de fabrique du pouvoir turc.

Est-elle si nouvelle cette page ? Et si sous l’appellation République turque on avait dissimulé la continuité de l’empire ottoman sous une autre forme ? Et si la Turquie était le dernier des empires coloniaux, terrorisant les peuples autochtones quand elle ne les élimine pas ? Dernier empire colonial, la Turquie se fait pourtant passer pour une victime des Occidentaux pour se gagner les faveurs d’ex-pays colonisés et obtenir leurs voix dans les instances internationales - avec un pouvoir de persuasion encore plus grand auprès de ceux dont la population est musulmane.

Et pour 2015 ? Pour le centenaire ? Que prépare la Turquie ? Serait-ce de sombres desseins ?

Les Arméniens ont beaucoup appris durant ces derniers jours. Et ils ont appris, s’ils ne le savaient déjà, que rien n’arrêterait leur combat. Ils voient aujourd’hui que leur formidable capacité de résistance, qui a traversé les siècles, est intacte.

2015 peut agir comme un accélérateur. Il faut que les Arméniens et leurs Amis s’approprient le Centenaire comme une opportunité d’avancées décisives dans leurs luttes, voire même, comme une opportunité de Renaissance pour la civilisation arménienne, et pour le monde, comme une opportunité de dire fort l’actualité des valeurs universelles. Ce sont maintenant, sans plus tarder, les réparations dues au peuple arménien spolié qu’il faut mettre en avant.

Et ces luttes, il faut les mener ensemble, en réseau, comme le sang qui coule dans les veines d’un corps vivant.

Liliane Daronian
Coopération Arménie

par le vendredi 30 mars 2012
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