EDITORIAL Rubrique

Du revers judiciaire à la déconvenue diplomatique


La séquence Robert Kotcharian-Yuri Khachaturov (chef des armées durant les événements du 1er mars 2008), à propos des responsabilités sur les morts liés à la répression de cette manifestation, se sera donc soldée par un premier revers pour les autorités arméniennes. Le zèle manifesté par Sasun Khachatryan, nouveau directeur du SIS (service d’investigation) chargé du « nettoyage les écuries d’Augias », s’est en effet retourné contre lui. La cour d’appel a finalement libéré le deuxième président de la République d’Arménie, après qu’il ait effectué 15 jours de détention provisoire. Motif : Le chef de l’Etat ne peut être tenu pour pénalement responsable des initiatives qu’il a été amené à prendre durant son mandat du fait de son statut.

On le voit, l’immunité présidentielle rendra difficile l’inculpation de Kotcharian pour ces événements qui ont fait 10 morts, dont 2 policiers tués par des manifestants - faut-il le rappeler ? Il est en revanche moins évident qu’elle puisse jouer sur la problématique de son étonnant enrichissement personnel, dont les dessous ne laissent pas d’intriguer. Sauf peut-être à considérer que les « retro-commissions » et autres « parts d’intérêts » présumées dans les contrats signés par l’Etat, relèvent elles aussi de la fonction présidentielle ? Ce qui poserait pour le moins question.

Alors, à quand l’ouverture d’une enquête digne de ce nom pour résoudre cette énigme d’intérêt général, eu égard à l’énormité des sommes en jeu ? En tout état de cause, si cette libération de Kotcharian est vécue comme un échec par les parties civiles et les autorités, elle sera à mettre pour une fois au crédit de l’indépendance de la justice arménienne, en général plus encline à suivre les réquisitions du procureur… Merci donc à la Révolution pour cette révolution. A moins bien sûr - hypothèse d’école - que, comme au bon vieux temps, les juges ne se soient fait acheter par Kotcharian, au nez et à la barbe de Nikol !

L’affaire Yuri Khatchaturov, a pris quant à elle une dimension plus sensible encore, en basculant du plan judiciaire à celui de la diplomatie. Il s’avère en effet que ce général, qui a passé deux jours en prison à Erevan avant de regagner ses pénates à Moscou début août, est président de l’OTSC (Organisation du traité de sécurité collective). Et que la Russie n’a que très modérément apprécié cette carence au plus haut niveau de son système de Défense.

Elle l’a d’ailleurs fait savoir publiquement en brocardant le « manque de professionnalisme » de notre nouvelle diplomatie, qui a non seulement laissé l’OTSC sans présidence, mais qui a demandé aux autres membres de l’organisation de remplacer Khatchaturov bien que ce dernier n’avait pas encore été officiellement « rappelé ». Une réaction qui en dit long sur le degré d’agacement de la Russie à l’égard du tournant qu’a pris l’Arménie avec cette « révolution de velours » aux allures de « révolution de couleur » qui ne dirait pas son nom.

Tout cela fait quand même un peu désordre et participe, dans le meilleur des cas, du vague parfum d’amateurisme qui flotte autour de la nouvelle équipe. L’indulgence est certes de rigueur, et l’on ne jettera pas le bébé de la Révolution avec l’eau du bain. « Les révolutions sont de magnifiques improvisatrices. Un peu échevelées quelquefois » écrivait le grand Hugo.

Dans la situation très particulière de l’Arménie, il est pourtant des domaines, comme en l’occurrence celui des relations internationales, qui ne supportent pas l’approximation et surtout l’incertitude, toutes deux source de pataquès. D’où l’apparition d’inquiétudes par rapport aux urgences du moment : les unes concernent les relations avec la Russie et les autres les enjeux du sommet de la francophonie. A cet égard la nomination d’un ministre des Affaires étrangères non francophone et peu au fait, de par son itinéraire professionnel, des arcanes du Kremlin, va-t-elle de soi ? Quand bien même l’excellence de son niveau de compétence ne saurait être mise en cause, qu’on nous autorise cependant deux questions :

1) la nomination de ce diplomate au demeurant intelligent, courtois et fort sympathique, ne pouvait-elle vraiment pas attendre la fin du sommet de la francophonie conquis de haute lutte et préparé de longue main par son prédécesseur ?

2) Outre l’affaire du sommet de la Francophonie, pourquoi Pachinian s’est-il privé des services d’Edouard Nalbandian, alors qu’il n’a de cesse d’invoquer sa fidélité aux lignes de force de la diplomatie traditionnelle de l’Arménie, en particulier dans son système d’alliance avec la Russie ? Dans ces conditions, le maintien de l’ancien ministre n’aurait-il pas constitué un gage de stabilité d’autant plus intéressant que ce grand professionnel avait su tirer parti de son capital de confiance à Moscou pour ouvrir autant que possible l’Arménie sur l’Europe et le reste du monde, sans susciter ni allergie ni suspicion ?

L’expérience des révolutions nous enseigne les limites du dégagisme qui par trop souvent rime avec dogmatisme. Pour ne prendre qu’un exemple récent, les coups de balai effrénés de nos amis tunisiens ont eu de graves conséquences sur le fonctionnement même de leur appareil d’État, aujourd’hui en plein marasme. Pour Pachinian, toute la difficulté de l’exercice consistera donc à maintenir le rythme de la révolution, à satisfaire le noyau dur de ses partisans biberonnés à l’USAID, sans pour autant risquer de porter atteinte au fonctionnement de l’Etat dont il a désormais la charge et surtout à ses alliances stratégiques. Une injonction paradoxale qui ne relève pas de la promenade de santé. Même pour un marcheur.

par La rédaction le jeudi 16 août 2018
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