EXPOSITION Rubrique

Dialogues inattendus entre Gérard Fromanger et Claude Monet


Au détour d’une invitation lancée par le musée Marmottan Monet à Gérard Fromanger, le peintre d’origine arménienne s’arrête devant un tableau de Gustave Caillebotte, Rue de Paris, temps de pluie. L’impressionniste représente en 1877 deux passants déambulant dans le Paris haussmannien à l’intersection des rues de Turin et de Moscou. Comment, Fromanger – que l’on qualifie volontiers de peintre de « la rue  » n’eut-il pas été interpellé par une toile qui célèbre son sujet de prédilection ? L’envie irrésistible de « peindre à quatre mains » aux côtés de Caillebotte, de revenir sur un thème qui les a, l’un et l’autre, portés apparaît. Fromanger propose au musée de peindre une toile répondant sans le savoir à un projet mûri de longue date par le musée Marmottan Monet : s’ouvrir à l’art contemporain.

L’idée s’était imposée. Marmottan n’est pas qu’un musée, c’est aussi une maison que les collectionneurs et descendants d’artistes se sont appropriés depuis son ouverture au public en 1934. C’est la maison de Jules et Paul Marmottan qui ont fondé l’établissement, mais aussi celle de Victorine Donop de Monchy qui offre en 1940 Impression, soleil levant et dix toiles signées Monet, Renoir, Pissarro, Sisley, Morisot et Guillaumin. S’y retrouvent également les familles Monet et Morisot qui en ont fait leur légataire et le gardien des premiers fonds mondiaux des deux impressionnistes. Aucun de ces bienfaiteurs ne s’est contenté d’offrir de simples tableaux, ils ont aussi confié les souvenirs qui leur sont associés, une part de leur mémoire et toujours leurs portraits de famille. Il semblait donc naturel que les peintres d’aujourd’hui poussent enfin la porte de cette maison, s’y sentent comme chez eux et trouvent la place qui est la leur dans ce lieu de filiation.

Dans ce cadre, Marmottan avait décidé d’inviter, deux fois l’an, des artistes à créer une œuvre en résonance avec les collections permanentes. Cette carte blanche intitulée “Dialogues inattendus” allait être inaugurée par Fromanger. L’année 2017 fut consacrée aux discussions. Avec le recul, cette attente se lit aujourd’hui comme les prémices d’une rencontre. Fin 2017, alors que les préparatifs du dialogue sont encore confidentiels, Fromanger dessine une suite de seize portraits de peintres d’hier et d’aujourd’hui, de Giotto à Bruce Nauman. À travers ces hommages (une pratique récurrente chez lui depuis les années 1970), Fromanger réunit une communauté d’artistes qui forment le cercle de ses amis, titre qu’il donne à cette série. Caillebotte et Pissarro ne sont pas encore là (ils le seront bientôt), Monet l’est en revanche. Il les annonce.

Automne 2018, le travail commence. Il passe par les mots avant de s’inscrire sur la toile. Un premier entretien a lieu entre le personnel du musée et l’artiste, dans son atelier, rue de la Roquette, à Paris. On évoque le parcours de Fromanger, les liens de sa peinture avec Rue de Paris temps de pluie de Caillebotte, mais aussi avec Boulevards extérieurs sous la neige de Pissarro, un maître qu’il a absolument souhaité intégrer au projet. Emergent leurs points communs, leurs sujets surtout. Leurs différences ou plutôt leurs singularités sont bien plus nombreuses et font le lit de la discussion. On ne représente pas la rue de la même manière – fut-ce le même lieu – selon les époques. Le travail du peintre est bien de rendre compte de la réalité de son temps et de sa spécificité. Autrement dit, si le thème reste le même, le langage change – charge au peintre de l’élaborer. Serait-ce l’art et la manière ?

À la question, comment représenter le Paris haussmannien des grands boulevards peint par les impressionnistes dans les années 1870, Fromanger avait apporté une première réponse cent ans après eux. En 1970, il avait consacré une série de vingt-cinq toiles au boulevard des Italiens. Depuis, il n’a cessé d’y réfléchir, renouvelant d’année en année, de série en série, le mode de représentation du boulevard. Quelle peinture nouvelle le spécialiste de la rue allait-il pouvoir donner ?

C’est là qu’advint l’inattendu – événement qui donnera son nom complet au dialogue – ou pour le dire différemment que s’imposa la vérité de l’atelier. Lorsque Fromanger retourne en Toscane – dans la chapelle où il peint depuis les années 1980 – il oublie Caillebotte et Pissarro, il oublie la rue. Pourquoi peindre un tableau qui existe déjà ? Contre toute attente, ou peut-être tout simplement dans un souci de renouveau, d’hommage ou de défi, c’est Monet qui s’impose et son iconique Impression, soleil levant. Sur une toile de 200 x 300 cm, Fromanger aborde la question sans détour : comment représenter un soleil levant en 2019 ? Ainsi, le dialogue de Fromanger au musée Marmottan se jouera-t-il avec le maître des lieux, le chef de file de l’impressionnisme, le collègue qu’il avait portraituré dès 2017. Caillebotte et Pissarro ne sont pas en reste. Au contraire, deux œuvres de Fromanger, l’une peinte en 1970, Salon de thé (série “Boulevard des Italiens”) l’autre en 2003 Back to back, green (série : “Sens dessus dessous”) illustrent la continuité de ce lien. Cette permanence nous rappelle, comme le dit si bien Fromanger, que la toile n’est jamais blanche mais noire de l’œuvre de ceux qui nous précèdent. Elle est le fruit d’une filiation ininterrompue et l’expression d’un dialogue inattendu.

Exposition Les Dialogues inattendus, Monet/Fromanger
Jusqu’au 29 septembre
Musée Marmottan-Monet - 2 rue Louis-Boilly à Paris

Claire Barbuti

par Claire le jeudi 11 avril 2019
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