Christophe Masse Rubrique

Pour des excuses publiques de la Turquie ! Le point de vue de Christophe Masse


La réalité de la vie quotidienne en Arménie ne peut se comprendre qu’en se rendant régulièrement dans ce pays et en y rencontrant celles et ceux qui FONT le pays.
Pour cela, j’ai la chance d’avoir pu depuis 1998, avec des délégations du Conseil Général des Bouches-du-Rhône, me rendre à plusieurs reprises en Arménie et j’en ai toujours ramené des souvenirs variés. De retour en France, avec la diaspora, les centres d’intérêt se déplacent du matérialisme des Ar-méniens dans leur pays, vers l’existentialisme des ressortissants arméniens en France.
Pour schématiser je dirais que ce qui est le plus important pour une grande partie d’Arméniens d’Arménie, c’est de pouvoir vivre au quotidien dans un contexte économique difficile, alors que pour la diaspora française, c’est de pouvoir exister en tant qu’Arménien dans un autre pays que celui de ses origines.
L’histoire de la lutte incessante vers la reconnaissance totale (ce qui n’est pas encore le cas) du génocide arménien exalte d’autant plus cette différence d’appréciation qu’elle est, me semble-t-il, plus soutenue en diaspora qu’en Arménie elle-même.
Et pourtant, quel plus beau combat que celui qui est mené contre des réalités de l’histoire que l’on veut nous cacher, quelle plus belle réussite que celle qui a conduit à la reconnaissance du génocide arménien de 1915 par le Parlement français il y a quelques années. Aujourd’hui, il manque encore un volet juridique pour que cette reconnaissance soit totale et entière, c’est celui visant à pouvoir punir pénalement celui qui niera l’existence de ce génocide, celui qui pratiquera le négationnisme de l’existence de ce terrible drame de 1915.
Il est indispensable d’adapter notre droit pénal, au même titre que celui permettant de poursuivre les négationnistes de la Shoah, à ceux qui disent ou écrivent que le génocide arménien n’a jamais existé ou bien (et on l’a déjà lu) , que le seul génocide qui ait été commis a été celui des Turcs par les Arméniens.
Les Turcs, parlons en un peu, et quelles indications concrètes peut-on donner quant à leur demande d’adhésion à l’Union européenne.
Tout d’abord, et sans provocation aucune, je me refuse à caler mon refus d’accepter l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne sur des motifs religieux ou culturels car, sinon, à ce titre là, pourquoi avoir déjà accepté des pays qui possédaient une telle « différence ».
Non, pour être honnête dans nos propos et surtout pour être crédible dans notre opposition à l’entrée de la Turquie, il faut centrer nos actions sur l’existence des droits de l’homme, sur la concrétisation d’une démocratie visible et, surtout, sur l’indispensable reconnaissance du génocide arménien par les Turcs eux-mêmes.
Ces excuses internationales publiques et ce retour sur l’histoire et le passé des relations entre ces deux pays restent pour moi LA condition sine qua non pour envisager peut-être, si toutes les conditions économiques, budgétaires et politiques sont réunies, une éventuelle candidature à l’adhésion.
Aujourd’hui, l’Arménie a certainement plus besoin de coopération internationale, de relations économiques avec d’autres pays (et pourquoi pas avec les pays voisins) que de compassion et d’attendrissement. Il est indispensable que la diaspora française, sans oublier les raisons de sa présence en France et, pour la plupart, l’exode de 1915, et les douleurs et les déchirements du génocide, véhicule des valeurs constructives et créatives pour désenclaver leur pays, stopper l’hémorragie des départs et dénoncer vigoureusement les décisions incohérentes prises par l’Europe. En effet, le blocus économique exercé par la Turquie et l’Azerbaïdjan à l’encontre de l’Arménie a entraîné depuis 12 ans une véritable hémorragie démographique au sein de cette jeune République, lui faisant perdre environ un tiers de sa population.
On sait aussi, d’après une étude de synthèse de la mission économique de l’ambassade de France en Russie, qu’une hausse d’au moins trente pour cent du PIB arménien est probable en un an en cas de désenclavement du pays. Or l’Union européenne a exonéré la Turquie de droits de douane, pénalisant ainsi les produits arméniens par rapport aux produits turcs dans des secteurs peu ou faiblement concurrents des produits européens par leur nature et leur volume.
Enfin, parler de relations internationales, c’est parler de frontières, et parler de frontières, c’est bien entendu parler du Karabakh et de la future qualité juridique de cette jeune République autoproclamée. Soyons aussi honnête dans ce domaine et indiquons clairement que même si le cœur de l’Arménie bat dans les montagnes du Karabakh, la reconnaissance de ce « pays » en relations internationales est quasiment nulle, même par la République arménienne elle-même et même si le chef de l’Etat arménien actuel en est issu.
Cet état de fait est par ailleurs largement explicable dans le contexte actuel des pays du Caucase mais il sera là aussi nécessaire de normaliser des relations car l’existence même du Karabakh, son origine, son histoire et ses interminables luttes sont largement identifiées à l’Arménie.
Certes, mes propos d’aujourd’hui ne sont peut-être pas réjouissants et si je noircis volontairement le tableau, c’est justement pour indiquer à la France et à mes amis de la diaspora que le travail qui nous attend est encore important.
En matière de santé, d’emploi, de qualité de la vie et de besoins fondamentaux, l’Arménie est encore en demande.
A ce titre, le travail de coopération internationale lancé depuis quelques années maintenant par le Président du Conseil Général des Bouches-du-Rhône Jean-Nöel Gguerini et sa majorité départementale, dont j’ai l’honneur de faire partie, est exemplaire de complémentarité et de connaissance réelle des besoins. Loin de se contenter de lancer des actions sporadiques et incontrôlées, le Conseil Général des Bouches-du-Rhône repose toute son action sur les projets proposés par les associations arméniennes du département.
Il faut ici saluer le rôle majeur joué par ces associations qui, au contact quasi quotidien avec l’Arménie, savent mieux que quiconque quels sont les priorités et les besoins.
Devant ces propositions, le Conseil Général peut financer sereinement des actions et grâce à la volonté du Président du Conseil général et à son attachement personnel à la cause arménienne, se rendre régulièrement sur place pour visualiser ainsi ce qui a été réalisé et bâtir d’autres projets.

par le lundi 1er mars 2004
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Christophe Masse est député PS des Bouches-du-Rhone.