Philippe Kaltenbach Rubrique

La Turquie ne peut plus vivre avec dans sa cave le cadavre d’un peuple assassiné Le point de vue de Philippe Kaltenbach, Maire de Clamart (PS). Vice- président du conseil régional d’Ile-de-France., paru dans le numéro 164 des Nouvelles d’Arménie Magazine


Cette année, nous commémorons le 95e anniversaire du génocide arménien. Un peu partout dans le monde, nous avons rendu hommage au 1,5 million d’Arméniens victimes de la barbarie et privés de sépulture. Parce qu’un génocide est un crime contre l’Humanité, c’est l’Humanité tout entière qu’il bafoue. La lutte contre le négationnisme du génocide arménien ne doit pas concerner les seuls Arméniens, mais bien l’ensemble de la communauté des humanistes.

Il n’est plus tolérable qu’un Etat comme la Turquie continue de nier un tel crime. Nous sommes face à un négationnisme d’Etat sous la forme la plus obscurantiste et la plus virulente qui soit. Le 7 avril dernier, monsieur Erdogan, Premier ministre turc en visite officielle en France, a rassemblé 6 000 Turcs vivant en France au Zenith. Il a enjoint les participants à cette manifestation à « prendre la double nationalité » et de devenir «  les représentants de la Turquie en Europe ».

De tels propos sont-ils acceptables ? Non bien sûr, monsieur Erdogan, on ne demande en aucun cas la nationalité française pour devenir le porte-parole de son pays d’origine. Je suis d’ailleurs étonné du silence complice du gouvernement français qui aurait dû réagir à ce propos inacceptable d’un chef de gouvernement étranger sur notre territoire national.
De plus, dans l’esprit de M. Erdogan, il ne fait aucun doute que le représentant de la Turquie devient aussi l’ambassadeur du négationnisme. Celui qui devient citoyen français doit adhérer aux valeurs de la République : Liberté, Egalité, Fraternité. Et ces valeurs sont incompatibles avec le négationnisme. Faut-il rappeler que la France a officiellement reconnu le génocide des Arméniens par la loi du 29 janvier 2001 et que nul n’est censé ignorer la loi.
Parce que la négation d’un crime contre l’Humanité n’a pas sa place au sein de notre République, celle-ci doit être sanctionnée. La loi votée par l’Assemblée nationale le 12 octobre 2006, sur initiative des députés socialistes, n’a toujours pas été présentée devant les sénateurs. Le président de la République s’y était pourtant engagé. Qu’attend-il ? Les pressions exercées par la Turquie ne sont sans doute pas étrangères à ce coupable attentisme.

La question de la reconnaissance par la Turquie du génocide reste donc entière. Et j’avoue mon pessimisme quant à une évolution de la position du gouvernement turc à court ou à moyen terme tellement il se sent sûr de lui, arrogant et dominateur.

En revanche, la société turque est, elle, en train d’évoluer. Le 24 avril dernier, des intellectuels turcs ont manifesté sur la place Taksim, au cœur de la partie européenne d’Istanbul, mais également sur les marches de la gare d’Haydarpasa d’où est parti le premier convoi de déportation qui emmenait vers la mort les élites arméniennes.

Cela montre bien qu’en Turquie, comme partout d’ailleurs et sans oublier notre propre pays, nous avons besoin d’intellectuels qui s’engagent en faveur des droits de l’homme.
Face à ceux qui se disent pragmatiques, réalistes, il faut que des voix s’élèvent pour défendre nos principes moraux qui ne doivent jamais être sacrifiés.

Jean Jaurès avait écrit à propos des Arméniens que  : « L’Humanité ne peut vivre éternellement avec dans sa cave le cadavre d’un peuple assassiné ». La reconnaissance de ce terrible génocide progresse partout dans le monde. Cette année, la Catalogne et la Suède ont officiellement reconnu le génocide. Les Etats-Unis ont aussi fait un nouveau pas. C’est en étant fermes avec son gouvernement et en soutenant les intellectuels turcs que nous y parviendrons.

par le jeudi 1er juillet 2010
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